Délicate et difficile mission qui a été confiée à Karine Vanasse hier soir. D'abord, le meilleur film de 2008, Ce qu'il faut pour vivre de Benoît Pilon, n'a pratiquement pas été vu en salle malgré une pluie de critiques élogieuses. Et son acteur principal, Natar Ungalaaq, lauréat d'un prestigieux Jutra? Mettons qu'il ne possède pas le pouvoir d'attraction BBM d'un Roy Dupuis ou d'un Rémy Girard.

Ensuite, deux mots: Star Académie, qui pétaradait sur les ondes de TVA, avec la sensation de l'heure, Lady GaGa, l'ex-Supertramp Roger Hodgson ainsi que la grande Ginette Reno. Pour les curieux, oui, c'est bien Maxime Landry, le Beauceron aux joues rosies, qui a triomphé.

Beaucoup d'obstacles sur le parcours de Karine Vanasse, donc. Dans son nouveau rôle d'animatrice, l'élégante comédienne, magnifique dans Emporte-moi, n'a pas commis de gaffe ni d'impair. Gentille, aimable et polie, elle a abondamment souri, ce qui a donné un gala soirée lisse, propre, sans aspérité et quasi didactique, qui ne marquera pas l'histoire des Jutra. Ni passionnante ni assommante, la fête, qui a duré 2 h 45, a manqué de pétillant, d'envolées spectaculaires et d'une bonne dose de «oumph», finalement. Même le public entassé dans le studio 42 de Radio-Canada semblait «borderline», c'est-à-dire pas trop certain d'apprécier le spectacle.

Karine Vanasse a attaqué cette 11e soirée des Jutra avec un numéro d'ouverture expérimental très impressionniste, qui aurait gagné à être plus mordant ou plus incisif. Un style qui tranchait nettement avec celui plus comique, plus ironique d'un des meilleurs animateurs de galas au Québec, Normand Brathwaite.

Question, ici: pourquoi la maîtresse de cérémonie n'a-t-elle pas plus parlé des films en lice au lieu de réciter un texte poétique sur la création cinématographique? Et probablement qu'en revoyant les images du gala, l'animatrice sursautera: la première robe qu'elle a enfilée était quasiment transparente. Oups. La belle Karine a rapidement changé de tenue.

Difficile de trouver le fil conducteur de la fête d'hier, qui s'est éparpillée et perdue dans beaucoup de directions. Pourquoi Geneviève Bujold a-t-elle récité, avec une intensité démesurée, un extrait du livre Kamouraska d'Anne Hébert? Fêtait-on un anniversaire en particulier? Ce segment détonnait et aurait mieux cadré dans le (feu) gala des Masques. Puis, avec les montées successives sur scène de Marie-Chantal Perron et de Luc Picard, le mystère a enfin été résolu: il s'agissait d'un coup de chapeau collectif aux auteurs dont les bouquins ont été portés au grand écran. Ah bon.

Drôle d'idée que de fragmenter l'hommage au cinéaste Fernand Dansereau en trois parties. Après l'envolée de Marcel Sabourin, paf, une pause commerciale. Quoi? Le réalisateur de La brunante ne parlera pas? Marina Orsini a poursuivi cet hommage tripartite, suivie de Suzanne Clément. Après autant d'éloges, Fernand Dansereau croyait - comme nous - que c'était enfin le moment de grimper les marches. Erreur. Marie Tifo, Pierre Curzi, Gérard Poirier et Hélène Loiselle ont alors dû expédier leurs discours en une courte phrase, interrompus par une musique grandiloquente. Un peu trop confus comme moment.

À 21 h 20, gros pépin technique: le micro de Karine Vanasse a cessé de fonctionner. L'animatrice a alors parlé dans le vide. Vite, des sous-titres.

Côté scandales, peu d'anecdotes croustillantes. Ah oui, Normand D'Amour, meilleur acteur dans un rôle soutien dans Tout est parfait, a sacré deux fois dans son discours de remerciement. Mais pas de quoi fouetter un chat. Seul le documentariste Patricio Henriquez, primé pour Sous la cagoule, un voyage au bout de la torture, a dénoncé - avec beaucoup d'éloquence et d'intelligence - les compressions en culture. La productrice de Ce qu'il faut pour vivre, Bernadette Payeur, a effleuré ce sujet à la toute fin. Et où se cachait Vincent Graton pour brasser la cage?

Au fil d'arrivée, les gagnants, très sages, n'ont pas été particulièrement inspirés au micro. Sous le choc de son prix de réalisation pour Borderline, la seule vraie surprise du gala, Lyne Charlebois a longtemps cherché ses mots et a finalement été enterrée par l'orchestre. Elle aussi saluée pour Borderline, Angèle Coutu a révélé qu'elle a bien failli ne pas se pointer à l'audition qui lui a permis de décrocher le rôle de la grand-mère de Kiki.

Critiqué avant la diffusion du gala, le processus de sélection des Jutra a continué de faire jaser sur scène. Couronné pour la direction photo de C'est pas moi, je le jure!, André Turpin a déploré l'absence de sa collègue Sara Mishara (Tout est parfait) de la liste des finalistes. Le compositeur de la musique de Babine, Serge Fiori, a mentionné que Luc Picard aurait dû être repêché dans la catégorie du meilleur réalisateur. Voilà pour les récriminations.

Vers la fin de la soirée, nous avons assisté à un beau moment de télé quand l'actrice Isabelle Blais (Borderline) a sauté dans les bras de sa soeur, Stéphanie Crête-Blais, alias Virginie Charest dans le téléroman Virginie. Très touchant.

L'an dernier, les cotes d'écoute du gala des Jutra, où Continental, un film sans fusil avait triomphé, n'ont pas franchi les 700 000 téléspectateurs, complètement écrasé par Le banquier de TVA, où un nudiste et un pompier ouvraient les valises. Le scénario risque de se répéter cette année avec l'immense pouvoir d'attraction de Star Académie, qui avait tout ce qu'il faut pour (sur) vivre... au zapping.

 

Les Jutra hors d'ondes

Jeudi dernier, une partie des finalistes ont participé à un gala hors d'ondes où six Jutra étaient remis. Voici les lauréats:

> Meilleure direction artistique: Nicolas Lepage (Babine)

> Meilleur son: Dominique Chartrand, Olivier Calvert, Louis Gignac et Gavin Fernandes (Babine)

> Meilleurs costumes: Carmen Alie (Babine)

> Meilleur maquillage: Kathyrn Casault (Babine)

> Meilleure coiffure: Martin Lapointe (Maman est chez le coiffeur)

> Film s'étant le plus illustré hors Québec: Maman est chez le coiffeur de Léa Pool