Je ne suis pas la première à l'écrire: la 11e Soirée des Jutra ne passera pas à l'histoire. Soirée grandiloquente, marquée par d'interminables envolées lyriques sur le septième art, il fallait être diablement tenace et un brin maso pour rester à l'antenne et ne pas tromper le cinéma québécois avec Lady GaGa, en feu à l'autre réseau.

Malgré tout l'aplomb dont a fait preuve la ravissante Karine Vanasse, la pauvre ne pouvait rien contre une lame de fond d'une lourdeur consommée qui n'en finissait plus de plomber la soirée.

Je ne parle pas ici des décors trop fluo mais des textes, incroyablement bavards et dont le lyrisme poético-machin créait l'impression que le cinéma québécois était une île au large d'Anticosti, dérivant lentement vers un impossible nirvana...

Mon collègue Hugo Dumas a posé la question hier dans sa chronique: pourquoi la maîtresse de cérémonie n'a-t-elle pas plus parlé des films en lice au lieu de réciter un texte poétique sur la création cinématographique?

C'est une maudite bonne question. Je me la suis posée toute la soirée tout en me demandant qui avait bien pu écrire les textes. Quand j'ai lu au générique que les textes étaient signés Guillaume Vigneault, j'ai cru que j'hallucinais. Mais non. C'est bel et bien Guillaume Vigneault que le producteur Jean-François Boulianne, de Bubbles Television, a engagé pour écrire les textes de la soirée.

Où est le problème, me direz-vous? Le problème est partout dans la mesure où, en plus d'être un jeune écrivain fort talentueux, Vigneault est le scénariste du film Tout est parfait. Ce qui d'entrée de jeu le place dans un conflit d'intérêts un peu gênant puisqu'il était en nomination dans la catégorie du meilleur scénario de l'année au sein d'un gala auquel, il devait par ses textes, donner la couleur, le ton et la direction éditoriale.

Or, dans un tel contexte, compte tenu de toute l'anticipation et de l'angoisse qui viennent avec une nomination, comment voulez-vous qu'un finaliste écrive sereinement des textes portant sur son film ou sur ceux de ses concurrents?

Comment voulez-vous que ce même nommé fasse abstraction de sa nomination et de celles de ses amis pour écrire en toute liberté sans verser dans le parti pris, l'autocensure ou le règlement de comptes? La gymnastique intellectuelle et émotive requise pour y arriver est telle qu'elle rend la tâche impossible. Tout simplement impossible.

Ce n'est pas tout. Non seulement, le gars qui a écrit les textes du gala était-il un scénariste en compétition avec ses camarades, mais il est le scénariste du film qui depuis un mois sème la pagaille dans les coulisses des Jutra. C'est en effet à cause de Tout est parfait que la controverse autour des jurys fantôme des Jutra a éclaté.

Le fait que le film d'Yves Christian Fournier ne se soit pas retrouvé dans la catégorie du meilleur film de l'année a provoqué une remise en cause à la fois du mode de désignation des finalistes et du mode de scrutin en général.

Bref, le conflit d'intérêts de Guillaume Vigneault passe ici du simple au double. Selon le producteur Jean-François Boulianne, le choix de Guillaume s'est fait avant que la controverse n'éclate. Au moment de signer le contrat avec Vigneault, personne ne s'imaginait la tournure que les événements allaient prendre m'a-t-il dit. Je veux bien.

Reste qu'il était évident même à ce moment-là que Vigneault risquait de se retrouver en nomination et qu'un conflit d'intérêts ou une apparence de conflit d'intérêts se dessinait à l'horizon.

Malheureusement, les producteurs de la soirée, de même que leurs partenaires de la Nuit du cinéma et de Radio-Canada, n'y ont vu que du feu. Quant à Guillaume Vigneault, le scénariste confit dans des intérêts contradictoires, il a trouvé un moyen ingénieux d'éviter le parti pris comme le règlement de comptes. Cela s'appelle l'autocensure, une maladie à mi-chemin entre la réserve, la prudence et la projection astrale, qui donne rarement des résultats emballants.

C'est ainsi que sous sa plume, la maîtresse de cérémonie des Jutra n'a jamais évoqué le moindre titre de film québécois. C'est ainsi qu'elle s'est gardée de toute blague, drôle ou déplacée, visant un nommé ou une nomination et qu'au bout du compte, ce qui était censé être la célébration du cru 2008 du cinéma québécois est devenu une apologie universelle du cinéma, sinon une veillée entre initiés de la Cinémathèque québécoise.

Onze ans après sa naissance, la Soirée des Jutra se cherche encore une identité et un erre d'aller. La baisse des cotes d'écoute confirme à nouveau cette année l'urgence de trouver une formule créative, dynamique et rassembleuse où le cinéma québécois de l'année sera à l'honneur, où l'humeur sera à la fête et où tous les scénaristes dans la salle seront contents plutôt que contrits.