Dans La vie passera comme un rêve, un bouquin dans lequel il relate ses souvenirs, Gilles Jacob, grand patron du Festival de Cannes depuis 30 ans, explique clairement qu'il y a des années d'abondance et des années de disette.

«Une sélection à Cannes est si glorifiante, écrit-il, et si importante aussi financièrement, que le monde entier souhaite en faire partie. Mais le monde entier préfère la compétition, autrement dit 20 places au programme pour 2000 films tournés et plus de 1000 proposés. Comment faire?»

Les chiffres qu'avance monsieur Jacob sont très conservateurs car ils font écho aux années d'apprentissage de celui qui assure aujourd'hui la présidence du Festival. La réalité est maintenant tout autre.

L'an dernier, 1792 longs métrages ont été proposés au comité de sélection. Cette année, un peu moins: 1670. Longs et courts métrages confondus, 4272 films ont espéré obtenir leur ticket pour se rendre dans l'opulente station balnéaire de la Côte d'Azur...

À n'en pas douter, 2009 est une année d'abondance. La nomenclature des sélectionnés défile comme une véritable liste d'abonnés, comme un Who's Who du cinéma mondial. La plupart des films retenus ont été réalisés par des cinéastes dont les réputations sont nées à Cannes. Certains d'entre eux y furent déjà consacrés.

Pas moins de quatre lauréats de la Palme d'or, Jane Campion (The Piano, 1993), Tarantino (Pulp Fiction, 1994), Von Trier (Dancer in the Dark, 2000) et Loach (The Wind that Shakes the Barley, 2006) se lancent dans la mêlée une nouvelle fois. «Les vieux singes vont faire de belles grimaces!» a déclaré à l'AFP Thierry Frémaux, délégué général et grand manitou de la sélection depuis quelques années. Almodóvar, Bellochio, Resnais et Haneke font assurément partie de cette bande-là.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire au premier coup d'oeil, le sélectionneur en chef n'a certes pas eu la tâche facile. Comment composer une programmation tournée vers l'avenir alors qu'autant de vétérans «incontournables» jouent du coude à l'entrée? Et encore, les nombreuses rumeurs qui circulaient sur la planète cinéma expédiaient aussi Coppola, Soderbergh, Michael Moore, les frères Coen, voire même Scorsese sur la Croisette...

À vrai dire, la vraie surprise réside dans la présence somme toute très discrète des Américains. C'est simple: Tarantino mis à part, aucun cinéaste venu du pays d'Obama ne peut prétendre à la Palme d'or cette année! De mémoire de festivalier, cette situation ne s'est pas produite depuis très longtemps. Selon le délégué, la grève des scénaristes aurait eu un impact à cet égard, plusieurs productions américaines ayant accusé du retard.

En revanche, les Européens et les Asiatiques se taillent la part du lion. Le contingent asiatique se révèle particulièrement impressionnant, notamment grâce aux présences des Taiwanais Ang Lee et Tsai Ming-liang, sans oublier celle de Lou Ye.

Le cinéaste chinois avait été révélé au monde il y a trois ans grâce à Summer Palace, un film qui, après avoir été montré à Cannes sans autorisation officielle, lui a valu une interdiction de tournage de cinq ans dans son pays. Le Sud-Coréen Park Chan-wook avait de son côté obtenu le Grand Prix du jury en 2004 grâce à Oldboy.

Andrea Arnold, Elia Suleiman et Brillante Mendoza font par ailleurs partie de ces cinéastes qui se sont ajoutés à la liste d'abonnés. Arnold s'était distinguée avec Red Road en 2006; Suleiman avec Intervention divine en 2002; et le Philippin Mendoza l'an dernier avec Serbis.

Malgré la présence annoncée de tous ces auteurs attendus, les dirigeants du plus grand festival de cinéma du monde ont quand même réussi à surprendre les observateurs en composant leur sélection française. D'abord, quatre films retenus en compétition plutôt que trois.

Le patriarche Resnais est de la partie (Mon oncle d'Amérique avait obtenu le Grand prix du jury), de même que des cinéastes qui ont aussi déjà fait l'expérience de la compétition à Cannes. Xavier Giannoli avait séduit les festivaliers avec Quand j'étais chanteur; Gaspard Noé avait fait scandale avec Irréversible; et Jacques Audiard avait obtenu le prix du meilleur scénario grâce à Un héros très discret. Curieusement, Mr. Nobody de Jaco Van Dormael, une coproduction franco-québécoise que plusieurs voyaient en compétition, ne se trouve nulle part dans la programmation officielle.

Que révèle cette sélection de l'état du cinéma mondial? Dans son mot de présentation, le président Jacob réitère sa foi dans l'évolution d'un art dont l'épicentre géographique est forcément appelé à se mouvoir de façon cyclique. À cet égard, il réfute les arguments de ceux qui prédisent la mort du septième art, à plus ou moins brève échéance.

«Et si tout n'était qu'un recommencement plutôt qu'un renoncement? écrit-il. Mais alors dans quelle direction chercher pour faire redécouvrir le rêve, le plaisir de dire moteur! Le cinéma indépendant n'est pas un ensemble de données, ni affaire de générations, c'est une attitude. Le jour où la danse nuptiale de la caméra glorifiera à nouveau le corps, les yeux et la bouche de la femme aimée sur un hologramme pixélisé au format évolutif, alors ce jour-là, un grand pas sera fait sur le chemin des nouveaux départs.»

On vérifiera tout cela dès le 13 mai, alors que la planète cinéma se réunira pour une dizaine de jours de belles grimaces.