Elle n’a pas voulu me dire son nom. Début de la trentaine. Une fille forte et timide. À 9 h, mardi  matin, elle était assise seule sur une chaise de jardin métallique, au milieu du terre-plein étroit du boulevard de la Croisette. Elle fixait obstinément le Palais des Festivals, faisant fi du trafic bourdonnant devant et derrière elle.

Au pied des marches du Palais, des ouvriers recouvraient de tapis rouge le parterre en contreplaqué. C’est là que ce soir, cinéastes, comédiens, membres du jury, dignitaires et autres stars feront un brin d’exercice – la montée des marches peut être sportive en talons aiguilles –, sous une pluie de flashs, à l’occasion de l’ouverture du 62e Festival de Cannes.

Elle y sera. Ce soir et pour la durée de l’événement. Onze jours aux premières loges. Sans les accès privilégiés des photographes accrédités, le long du tapis rouge, mais juste de l’autre côté de la clôture, au milieu du boulevard, debout sur sa chaise de métal. Elle ne sera pas la seule. Hier matin, elle était entourée d’une vingtaine de chaises vides, portant des panneaux «réservé» écrits à la main, et de grands escabeaux enchaînés à une clôture de métal.

La Croisette, à demi fermée sur ce tronçon pendant le festival, se transforme les soirs de projection gala en gradins de fortune où se réunissent des dizaines – et parfois des centaines – de badauds espérant apercevoir les mèches blondes de Brad Pitt ou le dos dénudé de Laetita Casta, tous deux attendus au cours des prochains jours. Hier après-midi, ils étaient une douzaine, sur leurs chaises pliantes, réunis en grappes comme dans une soirée thématique de camping-pas-sauvage, à attendre la première montée de marches.

Elle y était toujours, seule, fixant le tapis rouge. Elle est arrivée parmi les premières, tôt le matin, comme elle le fait depuis plusieurs années. Environ 36 heures avant la présentation en ouverture du Festival de Up, film d’animation en relief des studios Pixar, signé Pete Docter (Monsters, Inc.). «Ici, c’est premier arrivé, premier servi», m’a-t-elle expliqué.

«Les gens respectent l’ordre d’arrivée?

– Il y a parfois des disputes. Il faut se battre pour sa place. Mais en général, ça se passe plutôt bien.

– Vous vendez vos photos?

– Pas du tout. Personne ici n’est professionnel. Je fais ça pour ma famille, pour mes amis.

– Vous allez rester toute la nuit?

– Non. Mais je serai là tôt le matin, tous les jours. J’ai l’habitude.»

Je lui ai dit que j’étais journaliste. Elle a rougi. Elle n’a pas voulu me dire son nom. Ni d’où elle venait. «Vous savez, je n’aime pas beaucoup les questions.»

La misère des riches

On parle bien sûr, en prévision de l’ouverture du plus prestigieux des festivals de films, de la brochette impressionnante de cinéastes réunis en compétition officielle par le délégué général Thierry Frémaux. Quatre palmés d’or (Quentin Tarantino, Lars Von Trier, Ken Loach et Jane Campion), des habitués du palmarès (Pedro Almodovar, Michael Haneke), des valeurs sûres (Alain Resnais, Ang Lee, Jacques Audiard) et autres talents confirmés (Andrea Arnold, Xavier Giannoli, Gaspar Noé, Tsai Ming-liang…). Du bonbon pour le cinéphile, qui ne saura où donner de la tête d’ici le 24 mai.

On parle évidemment, en parallèle, des stars qui devraient faire tourner les têtes et meubler les pages des journaux à potins dans la prochaine quinzaine : Johnny Depp, Jude Law, Monica Bellucci, Vincent Cassel, Sophie Marceau, Penélope Cruz, Johnny Hallyday, Brad Pitt, Angelina Jolie, Diane Kruger, Eric Cantona, Gérard Depardieu, Aishwayra Ray, Eva Longoria, Charlotte Gainsbourg…

Mais on parle aussi beaucoup ici de la crise économique et de ses effets sur l’un des événements strass et paillettes les plus courus de la planète. Le Festival de Cannes rime avec opulence et gros luxe. Sauf qu’en cette année de restrictions budgétaires, alors que le marché du DVD est en baisse et que celui de la publicité est déprimé, on annonce moins de professionnels au Marché, pour des séjours écourtés, moins de studios hollywoodiens et moins de lancements de blockbusters.

Le très sélect party du magazine Vanity Fair a été annulé, bien des yachts luxueux qui mouillent dans la baie de Cannes n’ont pas été loués et les grands hôtels de la Croisette n’affichent pas tous complet, contrairement à leur habitude. Ne versez pas trop de larmes pour les gens riches et célèbres. Le Carlton, où loge le gotha du cinéma hollywoodien, a fait le plein de homard, de caviar et de champagne en prévision du Festival. On estime que 10 000 bouteilles de p’tit pétillant y seront bues pendant la durée de l’événement. Excusez du peu.

Dépaysement

La première chose que j’ai faite en arrivant à Cannes? Non, je ne suis pas allé prendre un verre de champagne au soleil à la plage du Martinez. Je suis allé aux vues. Pour voir quoi? Le Québec, sous une bordée de neige.

Romaine par moins 30 n’est pas présenté au Festival de Cannes ni dans ses sections parallèles, mais cette comédie d’Agnès Obadia, tournée et coproduite au Québec, vient de prendre l’affiche en France. La critique est unanimement enthousiaste, dans les médias «intellos» comme «populaires».

C’est vrai qu’Agnès Obadia manie bien le burlesque et que ses acteurs sont parfaitement dans le ton (notamment les Québécois Louis Morissette et Maxim Roy). Le Québec sert de carte postale au récit de manière moins caricaturale que dans Le bonheur de Pierre. Il reste que ce «film de filles» onirique, à l’intrigue mince et échevelée, ne m’a pas semblé du plus grand intérêt.

Romaine (Sandrine Kiberlain) déteste les avions, le froid et les surprises. Son chum (Pascal Elbé) lui fait, justement, une surprise: les voilà en route pour un village à 1200 km au nord de Montréal. Dans l’avion, croyant leur fin proche, Romaine fait un aveu à son beau: en trois ans, il ne l’a jamais fait jouir. Vexé, il la plaque à l’atterrissage.

S’ensuit une série de péripéties rocambolesques, plus invraisemblables les unes que les autres, servies par des dialogues parfois plaqués qui, malheureusement, n’ont fait rire personne parmi la vingtaine de spectateurs du cinéma Olympia.

Blanche neige

En passant devant le Palais des Festivals hier midi, j’ai senti dans mon cou et sur ma tête de blanches précipitations. Pas de la neige. Les déjections d’un oiseau. Certains diront que c’est bien fait pour moi.