Il voulait être de la compétition. La compétition ne voulait pas de lui. On comprend maintenant pourquoi. Francis Ford Coppola présentait aujourd'hui, en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, Tetro, un film qu'il a scénarisé, réalisé et produit.

Proposé à Thierry Frémeaux, délégué général du Festival de Cannes, pour la compétition officielle, Tetro s'est plutôt vu offrir une soirée gala hors compétition. Offre que le cinéaste du Parrain a refusée.

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Thierry Frémeaux, qui est un ami de Francis Ford Coppola, ne cache pas qu'il fut difficile d'annoncer la nouvelle de sa non-sélection en compétition au double Palmé d'or (The Conversation, Apocalypse Now). Coppola, de son côté, ne semble toujours pas l'avoir complètement digérée.

Répondant aux questions du public après la projection matinale de son film au Théâtre Croisette, Coppola, en chemise jaune soleil de vacancier, accompagné de sa femme Eleanor, de son fils Roman et des acteurs de Tetro, est revenu, visiblement agacé, sur cette histoire.

«La situation était la même avec Apocalypse Now, dit-il. Parce que le film n'était pas terminé, on m'a proposé de le présenter hors compétition. J'ai fait valoir que lorsqu'un film est présenté avec d'autres films dans un festival, il est de toute façon en compétition. Et il a été présenté en compétition.»

La voix soudainement plus exaspérée, il ajoute: «Des années plus tard avec Tetro, parce qu'il y a beaucoup de bons films en compétition, parce qu'il y a semble-t-il peu de places disponibles, on me propose de nouveau une présentation hors compétition, le 22 mai. J'ai refusé. Je n'ai pas envie d'une soirée gala, de m'habiller en smoking et de marcher sur le tapis rouge. Olivier (Père, le délégué général de la Quinzaine) m'a fait une proposition qui me semble plus appropriée pour ce genre de film.»

Ce genre de film? Un film indépendant d'abord, entièrement financé par Coppola lui-même, sans l'aide de la machine hollywoodienne. Un film baroque ensuite, extrêmement touffu, qui emprunte plusieurs directions sans en privilégier aucune. Un film monochrome pour l'essentiel, en couleurs seulement pour illustrer des flashbacks très stylisés.

Tetro est un drame familial sur fond de rivalités fraternelles. Bernie, 17 ans, arrive à Buenos Aires à la recherche de son frère aîné, Tetro, qui a abandonné sa famille italo-new-yorkaise 10 ans plus tôt. Fils d'un chef d¹orchestre de réputation mondiale avec qui ils sont tous deux en froid, neveux d'un musicien raté, ils s'entendent comme chien et chat. Le premier est naïf, le second cynique et bourru. On finira par savoir pourquoi.

Tetro, qui met en vedette Vincent Gallo, est une tragédie grecque contemporaine, fort théâtrale, à la facture vieillotte, pour ne pas dire datée, plutôt mal interprétée, au scénario alambiqué, constamment en rupture de ton, multipliant les effets de plus ou moins bon goût. Bref, pour tout dire, Tetro est un film raté.

C'est dommage. Il s'agit d'un deuxième échec successif pour le mythique cinéaste américain, qui n'avait pas eu la main plus heureuse en 2007 avec Youth Without Youth, son premier film depuis The Rainmaker (guère supérieur), en 1997. Coppola, 70 ans, a-t-il perdu la main? On dirait que oui.

La prémisse de Tetro, seulement le troisième film scénarisé par le cinéaste, était pourtant prometteuse. D'autant plus qu¹elle fait écho à la propre histoire de Coppola, dont le père et l'oncle étaient musiciens, et dont les enfants, avec divers degrés de succès (Roman dans l'ombre; Sofia en éclipsant récemment le père), ont choisi la même profession. «Il n'y a de la place pour un seule génie dans cette famille», dit le père chef d'orchestre à Tetro, qui veut devenir écrivain.

Le cinéaste, qui savoure pleinement son indépendance après avoir été contraint à des films de commande (de 1982 à 1992) afin de rembourser les dettes de One from the Heart, se défend d'avoir fait un film autobiographique.

«Rien dans cette histoire est vraiment arrivé, mais tout est vrai, dit-il.

Quand j'ai fait Le Parrain, je ne connaissais rien des gangsters. Je n'ai jamais rencontré de gangsters. Alors je me suis inspiré de ma propre famille. De mon père, de mon oncle, de la façon dont ils mangeaient, interagissaient et parlaient. Les Italiens de New York ne parlent pas comme les Italiens d'Italie. Avec Tetro, je m'intéresse aux Italo-Argentins, qui sont très présents dans la culture argentine. Ce sont des musiciens, comme dans ma famille, plutôt que des gangsters.»

Et quelle est la principale différence entre Tetro et Le Parrain? lui a-t-on demandé. «Quatre meurtres au poignard, deux par strangulation, trois par explosion de voitures et plusieurs autres à la mitraillette!»