La piste de danse de la plage du Carlton était bondée de «beautiful people», teint basané, verres fumés dernier cri, silhouettes sculpturales. Deux cents, peut-être 300 personnes.

Deux grands Italiens aux cheveux mi-longs, la barbe de cinq jours, vestons Boss ou Armani. Une Japonaise engoncée dans une robe lamée argentée, portant à la main ses escarpins griffés. Un Français trop musclé, le visage orange brûlé, à l'étroit dans son t-shirt turquoise.

Au haut de l'escalier, sur la Croisette, une jeune foule BCBG s'était massée près de la grille, espérant se faufiler discrètement jusqu'à la fête privée, l'accès à la plage étant bloqué par quelques officiels et videurs à la mine sévère.

Au loin, les yachts de luxe scintillaient dans la baie de Cannes. Sous le chapiteau, des écrans plasma diffusaient des extraits de matchs de Manchester United, le mythique club de soccer anglais. Des buts d'un avant-centre français teigneux, devenu dans les années 90 l'idole d'Old Trafford, le «Théâtre des rêves», le grand stade de Manchester.

Une demi-volée de dernière minute contre Arsenal, une tête contre Nottingham Forrest, ce fameux lob contre Sunderland, suivi de ce regard et de cette pose d'une arrogance royale. King Eric. «Ooh! Aah! Cantona!»

Il est arrivé. Vers minuit trente. «Fashionably late.» La vedette du film. Il a dénoué machinalement son noeud papillon, puis est allé directement poser sa griffe sur un grand mur blanc prêt à accueillir les commentaires des invités. Au feutre rouge, il a inscrit: «I'm not a man... I'm Cantona.» La réplique la plus savoureuse de Looking for Eric, le nouveau film de Ken Loach, présenté le soir même en compétition officielle.

Il s'est dirigé vers le bar, où il a fait la file comme tout le monde. Personne ne l'a reconnu. Personne ne l'a remarqué. Personne ne s'est intéressé à lui. Deux cents, peut-être 300 personnes, jeunes gens de l'industrie, «party boys and girls» de bonne famille, poseurs de tout acabit, ont continué à boire leurs cocktails à la mode, à discuter de l'air du temps, à danser sur de vieilles tounes de Michael Jackson ou de Blur. Sans se retourner.

Il s'appelle Steve Evets. C'est un acteur. Il n'a ni le look de Brad Pitt ni la notoriété de Jim Carrey, mais certains lui donneraient volontiers le Prix d'interprétation de ce Festival de Cannes pour son rôle d'Eric Bishop, un postier déprimé de Manchester qui reprend goût à la vie en la voyant à travers les yeux de son idole, Eric Cantona, footballeur-philosophe légendaire.

Presque 50 ans, malingre, les épaules voûtées, le visage buriné d'un homme de 10 ans son aîné. Un bourlingueur. Un déserteur de la marine marchande qui a fêté ses 18 ans dans un bordel de Bombay. Je l'ai félicité pour son jeu, juste et émouvant. Il m'a remercié. Je n'ai rien osé ajouter, de peur de l'accaparer trop longtemps. J'aurais peut-être dû. Il est resté seul au bar, attendant sa pinte de Kilkenny. Peut-être ne s'en portait-il que mieux. Vous ne trouverez pas plus fan de Manchester United que moi. C'est la raison pour laquelle on m'a offert une invitation à cette fête. Pour voir Cantona, raté la veille en conférence de presse. Je suis parti sans apercevoir le King Eric, qui se laissait désirer. Quittant le strass pour mon lit et les salles obscures du matin.

À Cannes se côtoient deux faunes comme deux planètes. Les cinéphiles et les partyphiles. Les uns vivent le jour, les autres la nuit. Sur la plage, dans une fête donnée précisément pour souligner la première d'un film d'auteur, son acteur principal peut rentrer incognito et dénouer sa cravate, sans que quiconque ne lève les yeux.

Mais une pimbêche comme Paris Hilton, sans être annoncée, pour aucune raison valable, vient faire acte de présence sur la Croisette, et on en parle des jours durant. Misère.