«Le jour où je prendrai un appartement à Paris, je vais me faire crucifier de toute façon!» Moins de deux heures après cette déclaration un peu surprenante, livrée au micro de C'est bien meilleur le matin, j'avais Marc-André Grondin devant moi, histoire de parler de Bouquet final, le deuxième film français dans lequel il tient la vedette (à l'affiche aujourd'hui).


Est-ce parce que nous nous étions vus il y a moins de deux mois sur le plateau de Bus Palladium? Que nous avions déjà couvert pas mal de terrain là-bas? Toujours est-il que, d'entrée de jeu, Marc-André engage la conversation sous l'angle de l'identité québécoise. Et évoque cette espèce d'obligation «d'allégeance nationale», exigée à ceux que la vie professionnelle mène sous d'autres cieux, particulièrement si cet ailleurs emprunte la configuration de l'Hexagone.


L'appartement fait ici figure de symbole. Un peu comme si le fait d'avoir une adresse civique dans la Ville lumière faisait irrémédiablement passer celui qui habite les lieux du côté de ceux ayant vendu leur âme au camembert. Un seuil psychologique, en quelque sorte.


Comme il est poli et bien élevé, il ne l'a pas dit de façon aussi crue. Mais j'ai bien senti que toute cette question commence à le faire «suer». Souverainement. Je relis plusieurs articles publiés chez nous, réécoute les entrevues accordées à la télé, à la radio. Le sujet revient continuellement. On demande à Marc-André, quasiment de façon systématique, quelles sont ses intentions, s'il compte s'installer en France, s'il continuera à tourner des films au Québec, s'il faut plutôt s'attendre à le perdre, bref, le jeune homme doit constamment «rassurer» ses interlocuteurs québécois.


Et puis, il y a les blogues (dont le mien). Où quelques zélotes zélés s'agitent en hurlant presque à la trahison nationale. Heureusement pour lui, Marc-André fait partie de ces gens capables de retrouver leur accent «naturel» sur le champ. Sinon, c'est l'opprobre. Parlez-en à Marie-Josée Croze.


«Remarque, ça ne m'empêche pas de dormir, dit-il. Mais ça devient un peu fatigant. On doit toujours marcher sur un fil, de crainte d'être traité de traître! Quand je lis certains commentaires sur ton blogue - genre «c'est plus payant de faire une comédie insignifiante en France qu'un chef-d'oeuvre au Québec» -, j'ai parfois l'impression que ces gens ignorent la réalité avec laquelle on doit composer.»


La réalité, c'est qu'un acteur désirant se consacrer exclusivement au cinéma ne peut pratiquement pas vivre de son métier au Québec. La réalité, c'est que les chefs-d'oeuvre sont rares, comme partout ailleurs dans le monde. La réalité, c'est qu'un film phénomène comme C.R.A.Z.Y. relève carrément de l'exception. Pour le reste, un acteur ne peut que s'associer à des projets prometteurs en espérant le mieux, sans garantie de résultat.


«Je ne suis pas plus fin qu'un autre, laisse tomber le maniaque de hockey. Je fais carrière là-bas parce que j'ai eu la chance - très grande - de jouer dans un film à succès qui a eu une résonance internationale, ce qui m'a ouvert des portes. Sur le plateau de C.R.A.Z.Y., Michel Côté m'avait d'ailleurs fait remarquer qu'un film comme celui-là ne se présente pas souvent au cours d'une carrière, sinon jamais. Il a raison. Même si un autre C.R.A.Z.Y. arrivait dans ma vie, les circonstances ne seraient forcément plus les mêmes.»


Comme dans Le premier jour du reste de ta vie, Marc-André Grondin incarne un personnage français dans Bouquet final, une comédie de Michel Delgado. De la même manière qu'Olivier Gourmet, Cécile de France ou Benoît Poelvoorde gomment leur accent belge quand ils travaillent à Paris; de la même manière que Vincent Perez perd toute trace d'accent suisse dès qu'il franchit la frontière; de la même manière que les acteurs issus des provinces doivent ajuster leur langage lorsqu'ils montent «en métropole».


Marc-André doit évidemment maîtriser le «français de France». Ce qu'il fait magnifiquement. Il n'a pas à s'en formaliser, encore moins à s'en excuser, même si nous avons collectivement l'épiderme plutôt sensible à cet égard. Il faudrait d'ailleurs bien réfléchir un jour sur les raisons qui nourrissent notre inquiétude dès que l'un des «nôtres» a l'occasion de faire carrière au pays de Molière. Mettons que nos rapports avec la France sont parfois un peu tordus...


«J'ose espérer qu'à l'avenir, les échanges culturels entre les deux pays soient plus faciles, observe l'acteur. Il faudrait trouver un moyen pour que les films québécois soient plus visibles dans les salles en France, pour que le public là-bas s'habitue davantage. Qui sait si dans 10, 15 ans, les sous-titres ne seront pas devenus inutiles? Régulièrement, on me parle de Léolo, des Invasions barbares, de C.R.A.Z.Y., de La grande séduction. Je suis convaincu qu'un film comme Tout est parfait aurait pu cartonner, mais il est sorti dans trop peu de salles.


«À mon avis, il est important que le cinéma québécois puisse rayonner ailleurs, à commencer par les pays francophones. Et le jour où il parviendra à s'imposer, il aura plus de moyens. Et plus de films se tourneront. Si on y arrive, les gens d'ici ne craindront alors plus de voir leurs acteurs partir à l'étranger et ne penseront plus que cet exil découle d'une volonté de ne plus travailler au Québec!»


L'affaire se révèle d'autant plus ironique que Marc-André ne déborde pas d'amour fou pour Paris, une ville où, essentiellement, il travaille. Au moins six mois par an. Et où il devra, un jour, se résigner à trouver ce maudit appartement. Ben oui.


«Je suis fier d'être québécois. Là-bas, il n'y a personne qui me prend pour un Français. Même quand je tousse, ils me disent que je le fais avec un accent tellement canadien!» lance-t-il en riant.
Décidément, les questions d'identité ne sont jamais simples...