Si l'on se fie à ce qu'on a pu lire cette semaine dans la blogosphère, la fracture entre public et critique n'aurait jamais été aussi grande. La division, aussi abyssale. Dans certains cercles, les chiffres - monstrueux - engendrés au box-office par Transformers - Revenge of the Fallen, empruntent les allures d'une gifle retentissante, enfin collée au visage des «chialeux» professionnels sévissant dans les médias. Lesquels ont presque unanimement décrié le feu d'artifice orgiaque de Michael Bay.

Mais les recettes, aussi spectaculaires soient-elles, ne révèlent pas tout. Il n'est pas dit que les millions de spectateurs qui se sont précipités dans les complexes multisalles cette semaine - partout dans le monde - en soient tous ressortis repus et contents. À ce qu'on raconte, le bouche à oreille est loin d'être favorable. En fin de compte, public et critique ne sont peut-être pas aussi éloignés l'un de l'autre qu'on le prétend.

Une chose est certaine: Hollywood est en train de changer son modèle d'affaires de fond en comble. C'est plutôt cela qui m'inquiète. Progressivement, les grands studios abandonnent leurs branches spécialisées, laissant ainsi aux plus petits distributeurs, dont les moyens sont plus modestes et l'accès aux écrans plus difficile, le soin de repêcher les films plus ambitieux sur le plan artistique, de même que les productions de prestige venues d'ailleurs.

Le studio Paramount, celui-là même qui gère la valse pétaradante des morceaux de robots de Transformers, a d'ailleurs récemment abandonné sa branche Paramount Vantage, consacrée à un cinéma plus signifiant (Babel, Revolutionary Road).

Warner Brothers n'a pas non plus fait dans la dentelle à ce chapitre. Le studio, fondé en 1918 par les frères Harry, Albert, Sam et Jack, a réintégré dans son giron New Line Cinema (The Lord of the Rings), mais il a aussi mis la hache dans Fine Line Features, une filiale de New Line, tout autant que dans Picturehouse et Warner Independent, ses propres filiales.

Dans Variety, bible de la profession, on faisait remarquer cette semaine à quel point les productions réalisées à l'extérieur du cadre des grands studios avaient désormais du mal à se frayer un chemin jusqu'aux salles.

Même s'il a été présenté en sélection officielle au Festival de Cannes, le plus récent film de Terry Gilliam, The Imaginarium of Dr. Parnassus *, ne bénéficie même pas encore d'un contrat de distribution aux États-Unis. Et ce, en dépit du fait que Heath Ledger y tient le tout dernier rôle de sa trop courte vie.

Cette réorganisation laisse traîner dans son sillage une nouvelle frilosité, tant de la part des indépendants que des majors. On veut éliminer les «facteurs de risques» pour ne plus miser que sur des valeurs sûres (si tant est que ce concept existe!). Avec cette approche, il est à craindre que le cinéma destiné à un public plus mûr disparaisse complètement des prochaines notes de service des grands studios. Après les carrières décevantes de Duplicity, State of Play, et, selon toute vraisemblance, Public Enemies, il est clair que Hollywood misera désormais uniquement sur des productions tapageuses conçues pour un public en mal de sensations fortes.

Steven Soderbergh pourrait d'ailleurs être la première victime de ce nouveau modus operandi. Quelques jours à peine avant le début du tournage de Moneyball, un film hollywoodien dont la tête d'affiche est Brad Pitt, le réalisateur de Traffic apprenait la semaine dernière que sa production devait carrément fermer boutique. Les changements qu'il aurait lui-même apportés au script de Steve Zaillian (American Gangster) auraient déstabilisé les bonzes de SonyPictures. Aux dernières nouvelles, on tenterait de remettre le film sur ses rails avec un autre réalisateur. Et peut-être une autre vedette.

Tony Scott pourrait goûter à la même médecine avec Unstoppable, un film qu'il compte tourner avec Denzel Washington, son acteur fétiche. Selon le Hollywood Reporter, la Fox ne serait plus trop encline à délier les cordons de sa bourse alors que The Taking of Pelham 123, aussi réalisé par Scott (et dont Washington est l'une des têtes d'affiche), obtient un score plutôt modeste. On peut toutefois se rassurer. Il y aura bel et bien un Transformers 3.

Weinstein remet les bâtards à leur place

Dans une récente chronique, je souscrivais à la volonté de Quentin Tarantino de retourner à la salle de montage afin de peaufiner Inglourious Basterds (les deux coquilles dans le titre sont, rappelons-le, volontaires).

S'il est vrai que la version prenant l'affiche le 21 août sera différente de celle présentée en primeur au Festival de Cannes il y a quelques semaines, Harvey Weinstein dément vigoureusement la rumeur selon laquelle il aurait suggéré au cinéaste de retrancher plusieurs minutes du film.

Dans une interview accordée au magazine GQ (version web), le grand gourou de The Weinstein Company, avec son langage coloré habituel, évoque plutôt un «réaménagement», Tarantino ayant été obligé de monter son film à toute vitesse pour respecter les délais prescrits par le festival. En principe, la durée de la nouvelle mouture d'Inglourious Basterds devrait être pratiquement identique (2 h 28 à Cannes). Selon lui, quelques scènes risquent même d'être ajoutées! À suivre.

Les bras m'en tombent...

Une copie sous-titrée en français de Whatever Works, le plus récent film de Woody Allen, prend l'affiche aujourd'hui au Cinéma du Parc. Au Journal de France 2, le vétéran cinéaste a révélé ne jamais avoir entendu parler auparavant d'Evan Rachel Wood, la vedette féminine de son film.

«C'est ma femme qui m'a suggéré le nom de cette jeune actrice, qu'elle trouvait formidable!» a-t-il confié. C'est dire que le réalisateur de Manhattan n'a jamais vu Thirteen, Across the Universe ou The Wrestler. J'ai toujours beaucoup de difficulté à comprendre comment certains cinéastes peuvent se consacrer à leur art tout en se privant du plaisir de voir les oeuvres de leurs contemporains. Il est vrai qu'au rythme où Woody Allen tourne...

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* La distribution du film sera toutefois assurée par E1 Entertainment (Films Séville) sur le territoire canadien.