Gérard, un vieil ami - lui est vieux, notre amitié pas encore -, a détesté La grande séduction. «Détesté» n'est pas un mot assez fort pour exprimer la répulsion que lui a inspirée le film de Jean-François Pouliot. Pour son conformisme sans doute, pour ses recettes consensuelles, pour les préjugés faciles sur lesquels il se fonde. Pour bien d'autres choses encore.

Gérard a haï La grande séduction. Il me le rappelle souvent. Et me rappelle dans la foulée, sur le ton amical du reproche, que moi, je n'ai pas détesté. C'est vrai. J'ai détesté Titanic, j'ai détesté L'âge des ténèbres et Le bonheur de Pierre, mais pas La grande séduction.

J'ai pensé à Gérard (qui ne s'appelle pas vraiment Gérard), lundi, en voyant De père en flic, le nouveau film d'Émile Gaudreault (Mambo Italiano), qui prend l'affiche mercredi. Gérard n'aimerait sans doute pas De père en flic, qu'il ne verra probablement jamais. Trop «recette», trop prévisible, trop facile. Et il ne me croirait pas tout à fait si je lui disais que je n'ai pas détesté. C'est pourtant vrai.

Comme La grande séduction, comme Bon Cop, Bad Cop, auquel il sera inévitablement comparé, De père en flic est un film efficace. Quelques bons flashes, quelques bonnes lignes: je suis sorti avec le sourire. Je n'en demande pas davantage à une comédie populaire qui ne prétend à rien d'autre qu'à divertir.

Gérard trouve que la distinction entre divertissement et culture est un faux-fuyant. Qu'il s'agit d'un prétexte dont se sert la critique pour s'empêcher de dire, en toute franchise, tout le mal qu'elle pense d'un film. Surtout lorsque ce film est promis à un succès populaire. Si vous exprimiez toujours le fond de votre pensée, il y aurait beaucoup moins de merdes qui trouveraient grâce à vos yeux, croit-il.

Gérard n'a pas tort. Mais il n'a pas tout à fait raison. Il a raison de dire que, contrairement à ce que pensent les médiaphobes, la critique ne prend aucun plaisir à contredire les coups de coeur du grand public et qu'en conséquence, certains films profitent de son indulgence. Mais il exagère lorsqu'il prétend que le triomphe populaire annoncé d'un film oblige en quelque sorte la critique à se ranger du côté de la majorité. J'en prends pour preuve récente Cruising Bar 2, le film québécois le plus populaire (et le plus mauvais) de 2008, qui n'a été épargné par personne.

De père en flic sera, de toute évidence, le film québécois le plus populaire de l'été, sinon de l'année. Cette comédie policière, inspirée du moule hollywoodien, mais indiscutablement québécoise, compte tous les ingrédients d'un succès probable: des vedettes (Louis-José Houde, Michel Côté, Rémy Girard), un scénario conventionnel juste ce qu'il faut d'original (un duo de policiers contraint à une thérapie père-fils dans la nature), de l'action, de l'humour, et Caroline Dhavernas se prenant pour le Karate Kid.

Évidemment, De père en flic ne gagnera pas le prochain Jutra du meilleur film. Ce n'est pas Polytechnique de Denis Villeneuve ou Un prophète de Jacques Audiard, le dernier coup de coeur de Cannes. La direction d'acteurs d'Émile Gaudreault est un peu lourde, comme la philosophie intergénérationnelle à 5 cennes de son scénario. Les dialogues sont parfois plaqués, l'humour à l'occasion forcé: le duo père-fils de policiers Michel Côté-Louis-José Houde a pour mission de confesser l'avocat des motards Charles Bérubé (Rémy Girard), «plus protégé qu'un panda en Chine»...

De père en flic est loin d'être un grand film. N'empêche qu'il m'a fait rire de bon coeur. En tournant en dérision les thérapies nouvelle-âgeuses en forêt (elles existent!). Robin Aubert est hilarant dans son contre-emploi de «thérapeute» de la nature. Louis-José Houde, tout aussi drôle en jeune policier qui «manque de viande». Sa livraison, ses mimiques, sont d'une telle précision. Michel Côté est drôlement efficace dans le rôle du paternel baby-boomer triomphant et Rémy Girard démontre une fois de plus, dans un registre tantôt burlesque, tantôt dramatique, pourquoi il est l'un des plus grands acteurs qu'ait connus le Québec.

Mon vieil ami Gérard ne sera pas d'accord, mais comme il y a des chansons pop génériques que l'on écoute pour jogger, simplement parce qu'elles sont entraînantes, il y a aussi des comédies populaires
génériques que l'on peut regarder, un soir d'été, pour le simple plaisir de se changer les idées.

J'ai tué ma mère à demi millionnaire

Il y a des succès populaires prévisibles comme celui de De père en flic, et ceux, improbables, inusités même, comme celui de J'ai tué ma mère de Xavier Dolan. Il a 20 ans, c'est son premier film, il a été salué à Cannes. Vous connaissez son histoire.

Alors que De père en flic prendra l'affiche dans plus d'une centaine de salles dans quelques jours et engrangera - je n'en sais rien, c'est une intuition - 4 millions au box-office, J'ai tué ma mère, écrit, réalisé, coproduit et interprété par Xavier Dolan, présenté dans une dizaine de salles seulement, a déjà franchi le cap du demi-million.

Le jeune cinéaste faisait déjà des jaloux après Cannes. J'imagine qu'il en fait encore davantage. Ce n'est pas pour me vanter, comme dirait Gérard, mais j'ai prédit, avant qu'il ne prenne l'affiche, 600 000$ au box-office pour J'ai tué ma mère. Permettez une autre prédiction: le prochain Jutra de l'interprétation féminine à Anne Dorval. Vous l'aurez lu ici en premier...