«Faire une bonne comédie constitue un défi beaucoup plus grand à relever. Tout le monde le sait, tout le monde s'entend là-dessus. Et tous ceux qui s'essaient au genre en reconnaissent les difficultés. Mais c'est long avant que ça entre dans les esprits!»

Au cours de notre récente conversation, Michel Côté évoquait le sempiternel débat entourant l'appréciation des comédies au cinéma. Même s'ils attirent les foules depuis toujours dans les salles, les films ayant pour mission de faire rire sont souvent considérés comme «mineurs» par l'intelligentsia, sinon carrément méprisés. Il suffit simplement de jeter un petit coup d'oeil sur les palmarès des différentes cérémonies d'autocongratulation pour constater qu'à l'intérieur même du milieu, les comiques ont rarement la cote.

Chaplin a dû attendre la fin de sa vie avant de pouvoir mettre la main sur un Oscar... honorifique. Il faut remonter jusqu'à Annie Hall de Woody Allen, il y a 31 ans, pour trouver la dernière franche comédie consacrée par les membres de l'auguste académie hollywoodienne. En France, Claude Zidi a obtenu le César du meilleur film grâce aux Ripoux en 1985.

On ne s'est pas non plus déridé très fréquemment en visionnant un film lauréat de la Palme d'or à Cannes. Chez nous, aucune véritable comédie ne s'est jamais distinguée aux Jutra; celles-ci devant généralement se contenter de faire joujou, année après année, avec leur Bobine d'or.

Y a-t-il véritablement injustice? À mon humble avis, pas du tout.

Car, voyez-vous, les «bonnes» comédies sont rares. Pour de belles réussites comme De père en flic ou OSS 117, combien de Bonheur de Pierre et d'Emmerdeur de tous poils avons-nous dû nous farcir?

Les artisans de films à vocation humoristique - surtout ceux qui visent le plus large public possible - ne l'ont pas facile, c'est vrai. Au défi de faire une «bonne» comédie s'ajoute celui de la pérennité, l'espérance de vie d'un film fait «juste pour rire» étant généralement plus circonscrite que celle des oeuvres dramatiques. L'humour étant une notion aussi floue que subjective, rares sont les productions du genre qui parviennent à transcender l'époque de laquelle ils sont issus.

Certains trucs nous faisaient crouler de rire il y a 20 ou 30 ans, mais nous semblent aujourd'hui complètement dépassés. Il en sera probablement de même dans quelques années avec les films sur lesquels on s'esclaffe maintenant. Que restera-t-il alors de l'oeuvre de Judd Apatow, le nouveau pape de la comédie américaine?

D'où, peut-être, la difficulté supplémentaire à laquelle font face les créateurs sur le plan de la reconnaissance. J'ai beau avoir bien rigolé en regardant De père en flic, apprécié le travail de ses artisans, je sais très bien que le film d'Émile Gaudreault, pour sympathique qu'il soit, ne figurera pas sur ma liste des meilleurs films de l'année. Contrairement à des oeuvres comme Polytechnique, Un prophète, Le ruban blanc ou Antichrist, qui m'ont ému, chamboulé, ou choqué, les comédies - même les bonnes - laissent un souvenir beaucoup plus volatil. Leur nature même étant de provoquer chez le spectateur une gratification plus immédiate, on nage ici dans le domaine de l'évidence, de la réaction instinctive, du right here, right now. Le souvenir qui reste, c'est celui d'avoir ri ou pas. Dans ce contexte, mesurer le degré de reconnaissance d'une oeuvre à l'aune de son succès public n'est plus guère pertinent. De toute façon, est-ce vraiment si important?

«Mon but ultime est d'atteindre le public tout en gagnant le respect de mes pairs et de la critique, m'a expliqué Michel Côté. Au cours de ma carrière au cinéma, j'y ai eu droit avec C.R.A.Z.Y. Mais je suis bien conscient qu'une chance comme celle-là arrive très rarement, surtout dans le domaine de la comédie.»

Quelque chose me dit que cela ne changera pas de sitôt.

Ich bin plutôt trash...

À la sortie de la projection de Brüno, la nouvelle comédie trash de Sacha Baron Cohen, les commentaires étaient à l'image du film: sans demi-mesures. D'un côté, il y avait ceux qui, comme moi, ont ri grassement - et à plein volume - des blagues salaces et outrageusement vulgaires concoctées par l'inimitable créateur de Borat. De l'autre, il y avait ceux qui, comme ma collègue Anabelle Nicoud, n'ont pas décoléré. Et n'ont vu dans cet exercice qu'amoncellement puéril et putride de gags pas drôles et de mauvais goût. Elle et moi nous prêterons d'ailleurs au jeu des contrastes demain dans le cahier Cinéma.

Baron Cohen ne fera certes pas l'unanimité parmi les critiques. Il ne réclamera pas sa nomination aux Oscars non plus. Malgré la nature outrancière de son oeuvre, le satiriste britannique bénéficie pourtant d'une excellente cote de sympathie. C'est un peu comme si l'aspect subversif de son humour, et la façon avec laquelle il débusque les instincts primaires de ceux qu'il rencontre, allouait d'emblée à sa démarche un caractère plus «noble». Il peut ainsi tout se permettre, même les gags les plus innommables. Et il en profite.

Sur un autre registre, Jean Dujardin dispose de la même immunité. Dans OSS 117: Rio ne répond plus, l'acteur s'autorise à aller encore plus loin dans l'outrance, son personnage ayant déjà été bien mis en place dans le premier opus, et surtout, bien compris. Du coup, la critique n'a jamais été aussi élogieuse à son égard en France.

Y aurait-il un lien?