Le plus étonnant, c'est que Brüno ait réussi à se hisser au sommet du box-office américain. «On Top». Devant les Ice Age et autres Transformers. Quatre-vingt-dix minutes d'outrage aux bonnes moeurs, de provocations puériles et de gags de mauvais goût. Du pénis qui parle aux spectateurs à la bouteille de champagne fixée commodément dans l'arrière-train, en passant par le bébé africain échangé pour un iPod...

Sacha Baron Cohen, dans son incarnation d'un journaliste de mode autrichien évadé de La cage aux folles, tourne encore ici en dérision le peuple américain. Qui en redemande. Succès inattendu pour Borat. Succès confirmé pour ce Brüno, annoncé à grand renfort de publicité pour une sortie monstre (ceci expliquant sans doute cela).

N'empêche. Que les Américains aient vu Brüno ce week-end, davantage que tout autre film, même en se disant «ce n'est pas de moi qu'on se moque, mais du voisin», même si le redneck est la victime générique de la gauche américaine, même si Borat a préparé le terrain, m'étonne.

Brüno s'affiche comme une comédie grand public. Son mince fil narratif est en effet tout ce qu'il y a de plus conventionnel. Tout va bien, puis tout va mal, mais tout finit pour le mieux. Le film de Larry Charles (Borat, Religulous) n'en est pas moins subversif dans sa manière de faire rire, pour toutes les bonnes et les mauvaises raisons.

Les ébats sexuels inventifs de Brüno avec son amant nain asiatique ont provoqué des rires parfois nerveux autour de moi. On rit de voir sur grand écran des simulations de rapports homosexuels extravagants, ou de voir Sacha Baron Cohen créer un malaise chez un public en majorité hétéro? Ou des deux?

D'autres l'ont déjà dit: Brüno succombe parfois à la facilité et à la paresse intellectuelle. Mais même édulcoré, même sans l'acuité de précédentes créations de Baron Cohen (Ali G, Borat), son très efféminé personnage de journaliste de mode vise plusieurs fois dans le mille.

Cherchant à tout prix à devenir «le plus célèbre Autrichien depuis Hitler», Brüno se rend au Moyen-Orient où il se fait modérateur de pourparlers de paix entre Israéliens et Palestiniens. Afin de réussir où tous ont échoué, il compose une ballade mielleuse suggérant aux peuples «juif et hindou» de ne plus se tirer dessus. «Tirez plutôt sur un chrétien!» chante-t-il.

Dans un talk-show aussi «trash» que le film portant son prénom, Brüno raconte comment les habitants de l'Afrique, les Afro-Américains, lui ont vendu un bébé à peu de frais. «On dit Africains», s'insurge une dame noire excédée. «Dire Africains est raciste. Il faut dire Afro-Américains», corrige Brüno, sans jamais dévier de son personnage de demeuré.

J'ai ri plusieurs fois à cette farce grasse, vulgaire et irrévérencieuse, aux accents de Jackass. Peut-être pas autant qu'à Borat, qui avait l'avantage de la fraîcheur, mais assez pour ne pas avoir eu l'impression de perdre ni mon temps ni mon argent. Brüno reste évidemment loin du chef-d'oeuvre comique, comme Borat d'ailleurs. Les films de Baron Cohen sont inférieurs à ses sketchs télé, sa récente notoriété y étant sans doute pour quelque chose.

On regrette que plusieurs «victimes» de Brüno soient vraisemblablement dans le coup et qu'il néglige l'establishment. Il reste que le comique ose. Il se met à nu et en danger, au propre comme au figuré, pour mieux créer des zones d'inconfort chez les autres, spectateurs ou acteurs involontaires de ses saynètes. L'ancien candidat républicain à la présidence Ron Paul, que Brüno confond avec Ru Paul et espère convaincre de tourner un sex tape à la Paris Hilton, ne feint pas sa colère d'avoir été piégé par cette «tapette» (queer).

Sacha Baron Cohen s'est donné comme mission de traquer les homophobes, les racistes, les ignorants, les étroits d'esprit, les Jesus freaks et ultraconservateurs de tout acabit. Et d'exposer leur bêtise. Malheureusement, la plupart des spécimens capturés par Brüno semblent moins colorés que ceux de Borat, dont le «scénario» a été ni plus ni moins plagié pour cette fausse suite.

Maître du slapstick de l'ère YouTube, satiriste de grand talent, Sacha Baron Cohen s'égare parfois dans Brüno. Il se ramollit un peu avec l'âge (ou la célébrité). Son tour de chant avec Bono, Snoop Dog, Elton John et Sting, avant le générique, m'a paru plus mièvre que décapant. Mais ses efforts ne sont pas vains. Son humour décalé, engagé plus qu'il n'y semble au premier regard, reste la plupart du temps efficace. Ses portraits cruels d'une Amérique sordide demeurent pertinents. Surtout qu'ils sont vus par un très grand nombre. D'un coup que quelqu'un, quelque part, s'y reconnaîtrait?