«La guerre est une drogue.» La phrase du correspondant du New York Times Christopher Hedges résume bien The Hurt Locker, film de Kathryn Bigelow sur une escouade de démineurs américains à Bagdad, à l'affiche depuis hier. La guerre comme dope pour des hommes qui ne se définissent plus qu'à travers elle.

J'ai toujours aimé les films de guerre qui réussissent à dépeindre l'homme au front dans ses derniers retranchements. Qui tirent une humanité de la cruauté de la guerre. The Hurt Locker, film grand public au regard d'auteur, est de ceux-là. Une oeuvre d'une perpétuelle tension, qui privilégie la représentation à la théorie, la nuance au manichéisme, l'empathie au jugement péremptoire.

Scénarisé par le journaliste Mark Boal, qui a suivi une équipe de démineurs sur le terrain, The Hurt Locker - une expression militaire définissant la zone des opérations de déminage - est le meilleur film jamais réalisé sur l'actuelle guerre menée par les États-Unis en Irak.

Une fiction réaliste sur la déshumanisation de la guerre, sur ses effets euphorisants aussi, qui rend le spectateur témoin des choix quotidiens, de vie ou de mort, des soldats au front.
La guerre en Irak inspirera-t-elle autant le cinéma américain que la guerre du Vietnam? Il est trop tôt pour le dire. Les plus grands films sur le conflit vietnamien ont été réalisés quelques années après le retrait des troupes américaines.

Ces films, ceux de Kubrick, de Coppola, d'Oliver Stone, ont marqué ma jeunesse de cinéphile. Aussi, inspiré par The Hurt Locker, j'ai eu envie de dresser sans prétention mon palmarès des meilleurs films de guerre. De grands classiques sont absents, la plupart de titres sont récents. Je l'assume pleinement.

10. Letters from Iwo Jima

Clint Eastwood au sommet de son art. Film monochrome, fin et élégiaque, sur la sanglante bataille d'Iwo Jima, pendant la Seconde Guerre mondiale, du point de vue japonais (le diptyque étant complété par Flags of Our Fathers). La réaction de l'homme devant la bataille perdue et la cause désespérée.

9. No Man's Land

Danis Tanovic dénonce par la comédie l'absurdité du conflit armé, en l'occurrence la guerre de Bosnie. Deux soldats ennemis, un Serbe, un Bosniaque, se retrouvent coincés dans le no man's land. Les forces de l'ONU s'en mêlent et s'emmêlent. Un premier film brillant, d'humour burlesque et de force métaphores.

8. Valse avec Bachir

Un documentaire d'animation poignant d'Ari Folman sur les massacres de Sabra et Chatila. Le film-thérapie d'un ancien soldat-adolescent israélien, sous forme d'autocritique, d'examen de conscience et de réflexion sur la responsabilisation en temps de guerre. Un acte de contrition comme une main tendue à la paix.

7. The Deer Hunter

Le voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino, avec sa chasse au cerfs et ses jeux de roulette russe comme métaphores de la guerre. Un film dur, sans concession, d'excès et d'exagération (notamment sur le traitement des prisonniers de guerre), qui témoigne d'un état d'esprit, celui de l'époque, sur l'immigration, la vie ouvrière, la guerre. Le plus grand rôle de Christopher Walken.

6. M.A.S.H.

L'oeuvre d'un cinéaste iconoclaste, M.A.S.H. distille un humour noir irrésistible. Le regard cynique de Robert Altman sur la guerre de Corée est en réalité une contestation par l'absurde de la présence américaine au Vietnam. Les vannes de Donald Sutherland et d'Elliott Gould, dans des rôles de jeunes chirurgiens hédonistes, à l'endroit notamment d'un militaire chrétien endurci (Robert Duvall), sont passées à l'histoire.

5. Che

L'oeuvre remarquable, âpre et épurée, de Steven Soderbergh sur le mythe Ernesto Guevara. Un film d'une vérité crue, aussi loin de l'hommage complaisant que de la biographie filmée traditionnelle, rendu sous forme d'un diptyque sur la victoire et la défaite, la réussite et l'échec, d'un homme de principes, prêt à tuer pour ses idées. Le maquis cubain et la guérilla bolivienne comme si on y était.

4. Platoon

Le film-phare, en partie autobiographique, d'Oliver Stone. La guerre brutale et sournoise, vue à travers les yeux de Chris Taylor (Charlie Sheen), jeune volontaire enthousiaste de l'armée américaine au Vietnam, rapidement désillusionné par la vie au front. La scène du soldat en transe (Kevin Dillon) qui fracasse le crâne d'un jeune vietnamien avec la crosse de son fusil reste parmi les plus dramatiques du cinéma hollywoodien.

3. Full Metal Jacket

Stanley Kubrick a eu un parcours de cinéaste exceptionnel. Son drame sur la guerre du Vietnam, divisé en deux parties - l'entraînement aux États-Unis de jeunes Marines et l'offensive du Têt - n'y fait pas exception. L'armée vue de l'intérieur, avec ses méthodes de conditionnement, sa moralité particulière, son impact psychologique. Un traité antiguerre précis, puissant et fascinant.

2. The Thin Red Line

Film d'épure anticonformiste, spirituel et poétique, hypnotique et lyrique, d'une esthétique majestueuse, sur l'essence de l'homme devant la guerre (la bataille de Guadalcanal). Terrence Malick y égrène le temps comme les billes d'un chapelet infini, litanie indolente et incantatoire à la gloire d'un cinéma contemplatif. Un grand, grand film.

1.    Apocalypse Now

 
La vision hallucinée, magistrale, de la guerre du Vietnam par Francis Ford Coppola. Le capitaine Willard (Martin Sheen), qui se terre dans une chambre d'hôtel de Saigon, accepte une mission secrète qui le conduira à l'énigmatique colonel Kurtz (Marlon Brando). Seize mois de tournage, multitude de plans, de séquences, de chansons et de répliques entrées dans la légende («I love the smell of napalm in the morning»). Un chef-d'oeuvre du septième art.