Il y a eu Jon Voight dans Midnight Cowboy. Puis, Richard Gere dans American Gigolo. Les personnages de prostitués mâles ne sont pas légion dans l'imaginaire des auteurs et des cinéastes. En revanche, les travailleuses du sexe meublent leurs fantasmes depuis toujours, les putes au grand coeur faisant souvent figure d'icônes.

Idéalisées bien souvent par des cinéastes ayant atteint l'âge mûr, elles agissent comme un hologramme boosté au Viagra dans un monde fictif n'ayant plus aucune emprise sur la réalité. C'est Julia Roberts dans Pretty Woman (Garry Marshall). Ou Laetitia Casta dans Rue des plaisirs (Patrice Leconte). Ou encore Monica Bellucci dans Combien tu m'aimes? (Bertrand Blier). Et bientôt Amanda Seyfried dans Chloe (Atom Egoyan). C'est normal. C'est ainsi.

Aussi ai-je été étonné d'apprendre que Josiane Balasko, de passage à Montréal cette semaine, avait eu un mal fou à faire produire Cliente, son nouveau film (à l'affiche vendredi prochain). Quand elle est arrivée avec son scénario sous le bras, tous les producteurs auxquels elle a rendu visite lui ont montré la porte. La raison? L'idée d'une femme mûre choisissant d'avoir recours à des services sexuels tarifés était trop choquante à leurs yeux. À tel point que l'auteure a dû d'abord publier son récit sous la forme d'un roman - et obtenir un succès de librairie - avant de pouvoir enfin porter sa vision à l'écran.

Cette frilosité est en tout cas assez révélatrice du malaise qui entoure l'exercice du «plus vieux métier du monde» quand il se conjugue au masculin. Même dans un univers fictif. Et magnifié. Le «Patrick» de Balasko, interprété par Éric Caravaca, est un type bien ordinaire, heureux en ménage, qui, pour se sortir d'une situation financière précaire, offre de «l'accompagnement» à des femmes désirant des relations sans attaches.

Aux yeux de la réalisatrice, il était d'ailleurs important que la «cliente» soit incarnée par une actrice séduisante comme Nathalie Baye. Le spectateur comprend ainsi que cette dernière, bien établie dans sa carrière, utilise les services d'un «call boy» en toute connaissance de cause, plutôt que par dépit ou par désespoir. Autrement dit, la cinéaste nous montre une femme en contrôle qui gère sa sexualité comme elle l'entend. Était-ce là l'élément si choquant? Seuls les producteurs que Balasko a rencontrés lors de sa première tournée semblent le croire. Cela dit, Cliente a beau prendre les clichés habituels à contre-pied, le film n'a pas l'ambition de dépeindre une réalité sur le plan sociologique.

Pour avoir un portrait plus juste, plus implacable, il faudra plutôt regarder du côté d'Hommes à louer, le remarquable documentaire de Rodrigue Jean (à l'affiche aujourd'hui). Lequel, il est vrai, fait écho à une réalité bien différente de celle dépeinte dans les films de fiction, notamment en regard de la clientèle «consommatrice» de ce genre de services.

Pendant près de deux heures et demie, le réalisateur de Lost Song braque sa caméra sur les visages d'une douzaine de jeunes hommes qui s'adonnent à la prostitution dans le Village. Patiemment, Jean donne la parole à ces p'tits poqués, prêts à faire une pipe à un mononc' de banlieue pour à peine 20 $. Une plongée en apnée au coeur de la misère humaine, laquelle emprunte ici le détour d'un cercle vicieux infernal, la pipe servant à payer la dope; la dope servant à faire la pipe, yeux fermés, nez bouché et gorge serrée.

C'est à pleurer.

Surtout que le cinéaste, qui a recueilli les propos de ces sans-voix sur le cours de toute une année, ne se permet aucun soupçon de complaisance, ni de dramatisation. Les témoignages sont là, bruts, plus éloquents que n'importe quelle étude, même s'ils sont parfois un peu tout croches. Ils traduisent le mal de vivre criant de p'tits gars à l'esprit «fucké», qui mériteraient d'être bercés plutôt que baisés. Du coup, ces êtres broyés à la moulinette de la marchandisation nous renvoient à la figure notre propre indolence collective. On en prend vraiment plein la gueule.

Rodrigue Jean livre ainsi un film très fort sur le plan social et prouve, comme si besoin était, à quel point la forme documentaire - quand on lui donne le temps de s'épanouir - peut circonscrire une réalité, mieux que ne pourrait le faire n'importe quelle fiction.

Tous ces «hommes à louer» n'ont strictement rien de l'image habituellement véhiculée par le cinéma de ceux qui exercent le même métier. Ils en sont d'autant plus bouleversants.