Travelling, rue Bernard, dans le Mile End. Une jeune femme élégante, la coiffure en chignon, jolie robe façon «early sixties», longe une murale colorée, au rythme indolent de Bang Bang, de Dalida. On pense à Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany's, à Julianne Moore dans Far From Heaven.

Gros plan au ralenti sur la boîte ronde, au ruban rouge, lui servant de sac à main. «C'est ça, la boîte, parfait», murmure Xavier Dolan en observant dans son moniteur le mouvement fluide donné au colis par l'actrice Monia Chokri. «Coupez! On l'a!» crie-t-il à son équipe.

«Non, ce n'est pas un film d'époque, dit le cinéaste en se retournant vers moi, le sourire en coin, avant même que j'aie pu lui poser la question. Disons que le personnage est overdressed. C'est très gai, mais avec une pointe d'ironie!»

On n'en doute pas une seconde. L'humour fin de Xavier Dolan, son esprit vif, sa répartie d'une acuité exceptionnelle pour ses 20 ans, sont au coeur du succès de J'ai tué ma mère, brillant premier film célébré partout depuis cinq mois. Ce week-end encore, il méritait le Prix du meilleur long métrage du Festival de Zagreb. La semaine dernière, le Grand Prix du Festival du cinéma contemporain de Moscou. Auparavant, J'ai tué ma mère a fait le plein de prix dans les festivals de Vancouver, Reykjavik, Namur et bien sûr Cannes, où il fut le chouchou du public de la Quinzaine des réalisateurs.

La presse québécoise s'intéresse presque quotidiennement, depuis quelques semaines, au parcours inédit de cette tragicomédie autobiographique, qui s'approche contre toute attente du million de dollars au box-office en plus d'avoir été choisie comme candidat canadien à l'Oscar du meilleur film étranger.

Les honneurs pleuvent, mais Xavier Dolan, lui, est déjà ailleurs. À l'image de son discours verbomoteur et de sa volonté hyperactive de s'exprimer, il est deux pas en avant, là où on ne l'attend pas. À tourner un film qu'il a scénarisé dans l'urgence de la création, il y a quelques mois à peine.

Dans la foulée de son triomphe cannois, Dolan avait affiché le désir d'entreprendre dès l'automne le tournage de Laurence Anyways, mettant en vedette Suzanne Clément, sur le thème de la transsexualité. La production a dû être reportée à 2010.

Qu'importe. Pas du genre à attendre qui que ce soit pour agir - J'ai tué ma mère a pratiquement été produit à compte d'auteur, avant de recevoir une aide tardive de la SODEC -, Xavier Dolan a écrit Les amours imaginaires lors d'un road-trip estival aux États-Unis. L'histoire d'un triangle amoureux interprétée par Monia Chokri, Dolan lui-même, et Niels Schneider (vu dans J'ai tué ma mère).

Le budget modeste de ce deuxième long métrage, quelque 600 000 $, provient d'investisseurs privés que Xavier Dolan a sollicités, ainsi que de bourses remportées dans les festivals par J'ai tué ma mère. «On n'a pas un budget de 35 millions, mais on s'est donné assez de moyens pour faire ce dont on avait envie», dit l'auteur-cinéaste.

Les amours imaginaires sera pour l'essentiel tourné caméra à l'épaule, sur le vif, en 35 mm (contrairement à J'ai tué ma mère, une production numérique). «Pour la gestion de la lumière, la pellicule fait toute la différence, croit Xavier Dolan. Plusieurs choses qui m'agacent dans mon premier film tiennent à des limites techniques. Cette fois-ci, il n'y a plus d'excuse du débutant ou du néophyte possible.»

Le tournage des Amours imaginaires s'est amorcé il y a une quinzaine à Lotbinière, à mi-chemin entre Trois-Rivières et Québec. Le deuxième film de Xavier Dolan aura principalement pour cadre le quartier montréalais du Mile-End, où il vient de s'établir. «Je remarque que les gens du quartier semblent plutôt irrités par les tournages. Ils sont bousculés dans leur bohème», dit-il, le regard rieur. On a bien hâte de voir le résultat.

Conflit d'intérêts 101

En 1999, en réaction au scandale des prête-noms de Cinar, Téléfilm Canada a décidé de ne plus financer la société de Micheline Charest et Ronald Weinberg pendant cinq ans, en attendant notamment le remboursement de 2,5 millions de dollars de subventions utilisées illégalement.

Dimanche, le journaliste de Radio-Canada Christian Latreille a révélé que l'ancien président du conseil d'administration de Téléfilm Canada, Charles Bélanger, a décidé unilatéralement en 2002 de recommencer à subventionner Cinar.

Sa décision a été prise sans l'avis du conseil d'administration, alors que la dette de Cinar n'avait pas été remboursée et que la société faisait l'objet de poursuites criminelles et civiles.

À la même époque, Charles Bélanger a aussi proposé au Fonds canadien de télévision de réinvestir dans Cinar. Sa proposition a été appuyée par Judith Brosseau, vice-présidente d'Astral, copropriétaire de la chaîne de dessins animés Télétoon... avec Cinar. Il se trouve que Judith Brosseau est la conjointe de Charles Bélanger, désormais président de la Régie du cinéma du Québec.

À mon tour de faire une proposition: pourquoi ne pas profiter de l'accalmie de l'automne (hum!) pour offrir à tous les élus et fonctionnaires de l'État un cours de rattrapage intensif sur le thème du conflit d'intérêts (et ses multiples apparences). Il me semble que ce pourrait être fort utile.