Le nouveau film catastrophe de Roland Emmerich, 2012, est une baudruche boursouflée au gaz à effet de serre qui surfe sur la peur universelle de la fin de l'humanité.

 Personne n'en sera surpris. Roland Emmerich est passé maître dans le cinéma à grand déploiement pour adolescents attardés, version «terre qui tremble pendant que la foule panique jusqu'à l'arrivée salvatrice du président des États-Unis».

Cette fois, le «cerveau» derrière Independence Day et The Day After Tomorrow s'est surpassé. Quelque 260 millions de dollars au service d'effets spéciaux dernier cri, à l'appui d'un scénario risible de vacuité. Ce 2012 est le Titanic des superproductions (le bateau, pas le film).

Évidemment, on ne fréquente pas Roland Emmerich pour la subtilité de ses scénarios. Aussi, pendant deux heures et demie (qui m'en ont paru 10), j'ai mis mon cerveau en mode «écran de veille» pour souffrir le patriotisme exacerbé et le gigantisme maladif de ce besogneux de luxe, chauffeur de kodak de marque Hummer H2 et tâcheron racoleur à la délicatesse d'un Godzilla (un autre de ses chefs-d'oeuvre).

Roland Emmerich est l'incarnation même du faiseur d'images de synthèse. Tout dans la forme, rien dans le fond. Autour d'une vague légende maya, le plus américain des réalisateurs allemands a bricolé un film pseudo-scientifique fait d'explosions de magma et de dérèglements de plaques tectoniques. Avec à la clé rien de moins que l'anéantissement de l'espèce humaine. Ou presque. Quelques milliardaires et chefs de gouvernement ayant prévu un plan B, à l'insu de la population mondiale.

La campagne de pub de 2012 roule depuis des mois. Affichage énigmatique, bande-annonce tonitruante. Assez pour inquiéter les bonnes pâtes adeptes de théories du complot, capables de croire, parce que c'est écrit sur le web, que l'homme n'a pas marché sur la lune, que les attentats du 11 septembre ont été prévus par la Maison-Blanche et que la grippe A H1N1 a été conçue en laboratoire par des sociétés pharmaceutiques. Ne vous demandez pas pourquoi Raël compte autant de disciples.

La fin du monde est-elle pour 2012? La question a été posée par assez de graines de Linux pour que la NASA, excusez du peu, prenne le temps cette semaine de démentir officiellement et dans le menu détail cette thèse sur son site internet. On a l'époque que l'on mérite.

Si 2012 ne prétendait être rien d'autre qu'un divertissement bébête, avec ses codes convenus (le héros, pauvre John Cusack, échappe toujours d'une nanoseconde à la catastrophe), ses clins d'oeil au genre et ses effets comiques d'un atroce mauvais goût, je n'en ferais pas une chronique. Mais Roland Emmerich a d'autres prétentions, comme en témoignent ses notes de production: «Il y a dans cette histoire, au-delà de l'aspect spectaculaire de la catastrophe, des thèmes philosophiques et politiques qui préoccupent tout le monde.»

Misère. Ceci expliquant cela, 2012 est pétri de bons sentiments, horriblement prêchi-prêcha et vaguement réactionnaire, avec ses références bibliques (il revisite le mythe de l'arche de Noé) et sa morale judéo-chrétienne à la sauce américaine.

Paradoxalement, c'est aussi à mon sens un film d'un cynisme absolu. Sous le couvert inoffensif du divertissement de masse, grâce à une esthétique empruntée au jeu vidéo réaliste, Roland Emmerich banalise à outrance la mort. Celle de milliers de personnages, engloutis par une vague gigantesque, écrasés pendant un séisme, accrochés désespérément à la paroi d'un édifice en chute libre, ne servant qu'à mettre en valeur la précision des effets spéciaux.

On pense inévitablement aux victimes du 11 septembre 2001, du tsunami asiatique de 2004, de nombreux tremblements de terre récents. Le dernier délire cinématographique de Roland Emmerich ne leur rend hommage d'aucune façon. Ils sont devenus, par une transgression malheureuse, les figurants pratiques d'un film d'action comique, parfaitement désensibilisé, destiné à divertir le plus grand nombre.

Un moment, 2012 tente de nous émouvoir avec le coup de fil larmoyant d'un fils à son père condamné par la prophétie des Andes; le prochain, il nous montre des centaines de cadavres gisant dans les débris de Los Angeles. Pendant ce temps, une famille modérément incommodée par l'Apocalypse circule allégrement entre une autoroute affaissée et la faille de San Andreas, en poussant des oh! et des ah! comme s'il s'agissait de montagnes russes de La Ronde.

Les limites du mauvais goût viennent une fois de plus d'être repoussées. Ridicule, 2012? Bien sûr. Indécent? Certainement.

Tout sur Dany

Dans un tout autre registre, j'ai été fort impressionné par La dérive douce d'un enfant de Petit-Goâve, très beau documentaire de Pedro Ruiz sur Dany Laferrière, qui sera présenté demain et lundi dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal, avant de prendre l'affiche du 22 au 26 novembre au Cinéma Parallèle.

On y retrouve Dany Laferrière, spirituel, comique, malgré sa gravité naturelle, rencontrant lecteurs et amis, à Montréal, Paris, Lyon, New York et Port-au-Prince, de la parution de Je suis un écrivain japonais et jusqu'à celle de L'énigme du retour.

La réalisation de Pedro Ruiz, par ailleurs photographe au Devoir, est inventive: séquences animées, plans soignés, parti pris intimiste. La narration est de Dany Laferrière lui-même. Le document est enrichi d'images d'archives, celles notamment d'une entrevue de l'auteur avec Denise Bombardier, qui déclarait ne pas pouvoir lire en ondes des extraits de Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer. «Trop prude alors?» avait rétorqué Laferrière. C'était il y a 25 ans.

Plusieurs extraits de ses livres, lus par l'auteur ou par des proches, servent de fil d'Ariane à ce film scénarisé, réalisé, monté et coproduit par Pedro Ruiz, où il est bien sûr question de l'exil, thème de prédilection de Dany Laferrière.

«Pourquoi on vous filme?» lui demande une dame dans le métro. «Parce que je suis une star, madame!» répond-il, d'un trait d'esprit caractéristique. Il n'est jamais plus beau qu'à son retour à Petit-Goâve, où il a été élevé par sa grand-mère, flânant sur la plage de sa démarche chaloupée, comme son écriture.