Deux ans presque jour pour jour après la sortie du jeu vidéo Assassin's Creed, Ubisoft remet ça avec une suite qui arrive dans les magasins aujourd'hui. Le jeune directeur artistique Patrice Désilets, ancien du cégep Édouard-Montpetit et de l'Université de Montréal, est encore le grand responsable du projet.

Pour le reste, Assassin's Creed 2 a abandonné le Jérusalem des croisades et se déroule cette fois dans l'Italie de la Renaissance, des Médicis et de Léonard de Vinci.

Le jeu met en vedette Ezio Auditore, un jeune bourgeois noceur et insouciant qui, à la suite d'un drame, décide de venger l'honneur de sa famille et de devenir membre des Assassins, une secte vouée au meurtre politique.

Compte tenu du succès du premier jeu, dont 9 millions d'exemplaires ont été vendus dans le monde entier, Ubisoft espère bien égaler sinon dépasser son record avec ce nouveau produit.

Pourtant, la grande nouvelle aujourd'hui n'est pas l'arrivée de ce deuxième assassin sur le marché des jeux vidéo.

La grande nouvelle, c'est qu'en même temps que l'équipe de Patrice Désilets planchait sur la réalisation du jeu, une équipe parallèle menée par Yves Simoneau, tournait Assassin's Creed Lineage, un vrai film de 34 minutes avec d'authentiques acteurs vêtus d'authentiques costumes mais évoluant dans les décors virtuels et somptueux d'Assassin's Creed 2. Tout cela dans le but de produire un prologue cinématographique qui mettrait la table dramatiquement et donnerait une profondeur historique au nouveau jeu.

Depuis vendredi, les «gamers» curieux de connaître le passé d'Ezio n'ont qu'à aller sur YouTube voir le film de Simoneau, dont les 10 premières minutes ont déjà été vues des millions de fois sur le site depuis le 3 octobre, pour en apprendre davantage sur l'enfance du personnage et sur l'histoire de sa famille.

Ubisoft se défend bien d'avoir voulu faire une pub de 34 minutes avec ce film. Mais si ce n'est pas une pub, c'est quoi exactement?

Disons qu'il s'agit pour Ubisoft d'une première incursion dans le cinéma, voire d'une expérience qui lance le message que la multinationale bien installée à Montréal pourrait devenir un important joueur dans la production de films.

Sachant cela, jeudi soir dernier, plusieurs cinéastes québécois en vue ont répondu à l'invitation d'Ubisoft et se sont précipités à l'Usine C pour la première sur grand écran du Assassin's Creed Lineage de Simoneau mettant en vedette Romano Orzari, Manuel Tadros, Claudia Ferri, Roc Lafortune et plusieurs autres.

D'entrée de jeu, les camarades de Simoneau ont pu constater que l'utilisation de décors virtuels mis au point par Hybride (une filiale d'Ubisoft) et dans lesquels les acteurs sont incrustés est une technologie aux possibilités infinies. C'est grâce à cette technologie que Simoneau est arrivé à reproduire Florence, Rome et Venise telles qu'elles étaient à la Renaissance, sans l'ombre d'un avion dans le ciel ni d'un gratte-ciel ou d'un pylône électrique à l'horizon.

Avec la même technologie à leur portée, les camarades cinéastes de Simoneau pourraient eux aussi multiplier les films d'époque sans être contraints de toujours tourner dans les mêmes trois rues du Vieux-Montréal. Ou encore ils pourraient se payer le luxe de faire des films campés dans le Paris des années 20, le Londres des années 50 ou même sur la planète Mars sans jamais quitter le Québec. Bref, un mariage avec Ubisoft pourrait être miraculeux pour le cinéma d'ici. Sauf que...

De ce que j'en ai compris, Ubisoft envisage le cinéma non pas comme un art en soi mais comme une plateforme de mise en valeur de ses jeux. Autrement dit, même si Ubisoft se lance un jour dans la production de longs métrages, ceux-ci serviront toujours à vendre des jeux et seront donc colorés par l'esprit un brin puéril propre au monde des jeux vidéo.

Car sans vouloir accabler les créateurs de jeux vidéo, disons que, pour l'instant, leurs scénaristes n'ont pas fait la preuve d'une grande profondeur dramatique ni d'un talent particulier pour la construction de personnages complexes.

Autant les infographistes des jeux vidéo créent des univers visuels riches et imaginatifs, autant les scénaristes qui travaillent à leurs côtés arrivent rarement à dépasser le récit naïf et anémique porté par un héros mécanique et dépourvu d'humanité.

Même le film de Simoneau, qui est impressionnant tant sur le plan technique qu'esthétique, laisse à désirer sur le plan scénaristique. Son personnage principal, qui passe son temps à sauter des toits et à tuer des gens, a beau être incarné par un acteur de chair et de sang, il a l'épaisseur dramatique d'un robot.

Un jour, un mariage d'amour entre le cinéma et Ubisoft aura sans doute lieu, chacun des médias comblant les lacunes de l'autre afin que les deux deviennent réellement complémentaires. En attendant, il faudrait que les futurs mariés s'entendent sur quelques règles de base, la première étant qu'un film est un film. Ce n'est pas un jeu vidéo.