Je ne vous apprendrai rien en vous annonçant que les vampires ont la cote. Que la majorité des adolescentes et leurs mères veulent en adopter un. Qu’ils sont les héros blêmes et glacés de l’heure grâce aux livres de deux auteures qui ont donné la série True Blood, à HBO, et un film culte, Twilight, dont le deuxième volet, New Moon, est sorti hier sur autant d’écrans que la planète peut en compter.

L’été dernier, en retard d’une révolution mais entraînée par un ado insistant, je me suis résignée à regarder Twilight sur DVD. Et contre toute attente, cette histoire d’amour à la sauce Roméo et Juliette, entre Bella, une ado rebelle de parents séparés venue vivre dans le bled perdu de Forks, Washington, et Edward, jeune vampire craquant et chevaleresque, m’a totalement conquise.

Je ne peux en dire autant de la suite qui est sortie hier, un désastre scénaristique malgré une thématique (la dépression adolescente) remplie de potentiel, mais ça, c’est une autre histoire.

Que l’on aime ou non l’univers victorien créé par Stephenie Meyer, la série Twilight s’adresse avant tout à un public adolescent. True Blood, la série complètement déjantée qu’Allan Ball a créée pour HBO d’après les romans de Charlaine Harris, est pour les adultes avertis. Nudité, violence, meurtre, drogues, scènes de baise torrides, fétichisme, sado-masochisme, il n’y a rien de victorien dans True Blood.

Là où Twilight prône l’abstinence et la maîtrise de ses pulsions, True Blood, campé dans le bled imaginaire de Bon temps en Louisiane, invite au stupre et à la fornication.

Là où les vampires de Twilight sont en réalité de bons bougres bourgeois, rejetés socialement parce que non conformistes, les vampires de True Blood sont la métaphore des gais d’aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que les vampires sont gais. Seulement que leur situation dans l’Amérique fictive de True Blood est calquée sur la condition des gais. Au lieu de sortir du placard, les vampires de True Blood sortent du cercueil. Leurs leaders militent pour qu’ils aient les mêmes droits que les humains, surtout depuis qu’une entreprise japonaise fabrique un sang synthétique qui les libère de leur besoin de sang humain. Régulièrement, les porte-parole des vampires viennent réclamer sur les ondes de CNN le droit au mariage entre humains et vampires et la fin de la discrimination. Il n’en demeure pas moins que la plupart des vampires de True Blood sont des sociopathes et des fachos, ce qui par moments donne à la série une teinte carrément homophobe. La seule exception, c’est le personnage de Bill Compton, un vampire amoureux d’une serveuse aux talents télépathiques, qui aspire à une vie normale et domestique et dont le plus grand rêve serait de passer la tondeuse de jour.

Car les vampires de True Blood ne supportent pas la lumière du jour alors que ceux de Twilight n’ont pas ces problèmes-là. Ils vivent normalement, vont à l’école, à l’épicerie, se mitonnent des petits plats et ne perdent les pédales que lorsqu’un humain à leur portée se met à saigner. Tout cela pour dire que le monde des vampires est tellement riche dramatiquement que, d’une oeuvre à l’autre, il permet toutes les variations. Mais leur avènement dans la culture populaire n’est pas innocent. Pas plus que ne l’est leur immense popularité. Si les vampires marchent si fort, c’est qu’ils sont totalement synchrones avec notre époque : une époque déchirée entre, d’un côté, la rectitude politique et le puritanisme religieux et, de l’autre, l’excès, la violence et l’hypersexualisation de la société de consommation.

Habités par des pulsions sexuelles et meurtrières qu’ils cherchent constamment à dompter, les vampires de True Blood comme de Twilight ne sont pas si différents de nous. Même que, par moments, on jurerait qu’ils sont exactement comme nous. En plus blêmes et en plus... humains.