J'ai été embauché comme critique de cinéma à La Presse à l'automne 1999. Plus d'un millier de films plus tard, voici les dix qui ont le plus marqué ma première décennie dans ces pages.

> Réagissez sur le blogue de Marc-André Lussier: Nos plus beaux films de la décennie

1. In the Mood for Love de Wong Kar-waï

Il n'y a pas plus énigmatique que le chef-d'oeuvre de Wong Kar-waï. Cette histoire d'un amour inaccessible entre une femme (Maggie Cheung) et son voisin (Tony Leung), confrontés à l'infidélité commune de leurs époux respectifs dans le Hong Kong des années soixante, est un véritable casse-tête. Une magistrale leçon de cinéma, d'une infinie sensualité: chaque plan, chaque note de ce magnifique tableau velouté, suave, fluide a été savamment étudié. Un poème envoûtant et exquis, comme chaque geste réprouvé, chaque hésitation passionnelle de Maggie Cheung.

2. Caché de Michael Haneke

Un thriller psychologique sombre et tendu, sur le thème de la culpabilité, interprété de remarquable manière par Daniel Auteuil, en animateur d'émission littéraire rattrapé par son enfance, et Juliette Binoche, sublime de retenue dans son rôle de compagne excédée. Un exercice de style poignant et magistral du cinéaste de La Pianiste et de Funny Games, qui exploite à merveille les faux-semblants et les multiples facettes dissimulées d'une image. À voir et à revoir pour cette fin ouverte, qui laisse libre cours à toutes les interprétations.

3. 4 mois, 3 semaines et 2 jours de Cristian Mungiu

Un film brillant, dur et poignant, campé dans la Roumanie de fin de règne de Nicolae Ceausescu. Réalisé avec des bouts de ficelle, il propose un regard éloquent, tout en finesse, sur l'amitié, le sexe, les classes sociales, le mensonge obligé et le coût de la vérité sous la dictature. Mungiu offre à voir un plan fixe de pur génie, sublime de tension et d'absurdité, autour d'une table, à l'occasion d'un repas d'anniversaire.

4. La graine et le mulet, d'Abdellatif Kechiche

Il n'y a pas une seule scène gaspillée dans ce film tour de force, cette chronique sociale brillante, drôle et émouvante, doublée d'un suspense haletant autour du destin d'un couscous («la graine») au poisson («le mulet»). Un film sur la famille, le quotidien, la vie. Un film fin, intelligent, jamais racoleur, aussi vrai que peut l'être le cinéma. Un film qui transpire la vie et l'humanité.

5. Babel d'Alejandro Gonzalez Inarritu

Une oeuvre d'une grande poésie, signée par le réalisateur de 21 Grams et d'Amores Perros qui, en trois films seulement, s'est imposé parmi les cinéastes les plus pertinents de l'époque. Condamnation de la guerre aveugle au terrorisme, de l'injustice faite aux immigrants illégaux, du mépris de la différence et de l'absurdité de la violence, dans un chassé-croisé d'une infinie subtilité déployé sur trois continents.

6. Dancer in the Dark de Lars Von Trier

Chef-d'oeuvre émouvant d'amour et de détresse, signé Lars Von Trier. Une tragédie musicale fabuleusement mise en notes par Björk (magnifique), qui enchante et désarçonne, avant de laisser avec une immense sensation de vide. Dancer in the Dark est un film qui fait du bien où il fait mal. Léger mais intense en musique, lourd dans sa charge émotive. Une majestueuse improvisation sur le thème de la douleur.

7. No Country for Old Men d'Ethan et Joel Coen

Une distribution de grande qualité, une mise en scène intelligente, un humour noir irrésistible d'absurdité, une direction photo superbe, des dialogues truculents: No Country for Old Men est ce que les frères Coen ont fait de mieux depuis Fargo. Javier Bardem trouve dans ce thriller atypique aux airs de western un rôle taillé sur mesure d'assassin psychopathe qui ne s'encombre d'aucun sentiment. Un regard décapant et décalé, caustique et subtil sur l'Amérique moderne, où les règles du Far West priment sur celles de la civilité.

8. There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson

Métaphore aride et violente sur l'Amérique, tour de force du brillantissime Paul Thomas Anderson - qui nous montre ici une nouvelle facette de son talent -, There Will Be Blood est un film grandiose, lancinant, inspiré par la présence quasi mystique de Daniel Day-Lewis. There Will Be Blood porte la marque de son visage émacié et de son regard noir de charbon. Un visage que l'on n'est pas près d'oublier.

9. Volver de Pedro Almodóvar

Mélodrame coloré, envoûtant et lumineux sur le thème de la filiation. Almodóvar y filme une nouvelle fois les femmes, les mères surtout, dans leur grâce et leur amour, leurs obsessions et leurs travers, leurs forces et leurs faiblesses. Le scénario est succulent, la lumière, d'un jaune vif, et Penélope Cruz, d'une grande justesse dans la peau d'une mère courage désemparée, guettée par le désarroi (mais jamais au bord de la crise de nerfs). Un maître à l'oeuvre, qui nous a offert un autre grand film, Parle avec elle, au cours de la décennie.

10. Brokeback Mountain d'Ang Lee

Une histoire d'amour tragique et subtile, brutale et déchirante, imprégnée de silences. Celui de la montagne et de ses espaces inaccessibles; celui de cow-boys rongés par le désir, déçus par la promesse évanescente d'une liaison impossible. La rage intérieure du personnage d'Ennis Del Mar, brisé par la vie, est rendue avec une rare éloquence par le jeu physique, tout en nuances, du regretté Heath Ledger. Un film émouvant, magnifiquement mis en scène, qui exploite avec brio le pouvoir de l'évocation.

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