Choisir 10 films parmi les quelques milliers visionnés en 10 ans? Vous voulez rire? Mais puisque vous insistez, allons-y. On révise nos notes, on ressort toutes nos listes. On pense à ces oeuvres phares que nous ne nous lassons jamais de revoir. On retient des titres, on en élimine d'autres. C'est souvent déchirant. Et on accouche finalement de cette liste. Du coup, l'envie de revoir tous ces films se manifeste. Là, tout de suite. Quoi qu'on en dise, nous avons eu droit à une sacrée belle décennie de cinéma.

> Réagissez sur le blogue de Marc-André Lussier: Nos plus beaux films de la décennie

1. Brokeback Mountain d'Ang Lee (2005)

C'est le film que tout le monde appelait le «film de cow-boys gais». Quand on l'a enfin vu, nous nous sommes pourtant tous rendu compte à quel point cette histoire déchirante dépassait de loin la simple dimension sexuelle. Ang Lee a réussi - c'est un rare tour de force - à enrichir la nouvelle d'Annie Proulx en y ajoutant une dimension mythique, laquelle donne au récit un caractère encore plus émouvant. Le regretté Heath Ledger et Jake Gyllenhaal sont inoubliables dans ce qui reste le plus beau film d'amour de la décennie.

2. La mala educacion de Pedro Almodovar (2004)

J'aurais pu choisir Parle avec elle, auquel notre regretté collègue Luc Perreault avait accordé un 5 étoiles. J'aurais tout aussi bien pu choisir Volver, Almodovar ayant traversé cette décennie avec une grâce infinie. Mon choix s'est pourtant fixé sur La mauvaise éducation car ce film représente la part plus sombre, plus écorchée du cinéma d'Almodovar, entremêlant cette fois les thèmes de la religion et de la pédophilie. Maîtrise du récit, images somptueuses, interprétation inspirée de Gael Garcia Bernal dans le rôle d'un jeune homme qui se sert de sa séduction comme d'une arme fatale. Ce film est peut-être moins «aimable» que les autres, mais il n'en est pas moins remarquable.

3. Amores Perros d'Alejandro Gonzalez Iñarritu (2001)

Dès la première scène d'Amours chiennes, le cinéaste mexicain imposait d'emblée son style. Ancrant d'entrée de jeu son cinéma dans les années 2000, Alejandro Gonzalez Iñarritu a fait basculer le cinéma latino-américain dans la modernité. Divisé en trois chapitres, Amores Perros relate les parcours d'individus dont les destins n'auraient pas dû se croiser. Reprenant plus tard la formule du film choral dans 21 Grams et Babel, Iñarritu a construit l'une des oeuvres les plus emblématiques de cette décennie.

4. In the Mood for Love de Wong Kar-waï (2001)

Du cinéma en état de grâce. À ce jour, In the Mood for Love demeure l'oeuvre phare du cinéaste hongkongais Wong Kar-waï. Une esthétique parfaite encadre une histoire d'amour feutrée, magnifiquement incarnée par Maggie Cheung et Tony Leung Chiu waï. Un motif musical inoubliable (Shigeru Umebayashi), des atmosphères diffuses et nuancées, des images magnifiquement composées. Le plus «beau» film des 10 dernières années.

5. La graine et le mulet d'Abdellatif Kechiche (2008)

L'approche sans esbroufe du cinéaste, et sa façon de traquer les instants de vérité en allant jusqu'au bout des scènes qu'il met en place, peut parfois aiguiser la patience de certains spectateurs. C'est pourtant dans cette insistance que le cinéma de Kechiche se révèle aussi riche sur le plan humain. À travers le parcours d'un vieil immigrant de la «première génération», le cinéaste dresse un portrait de société d'une justesse incroyable. Avec La faute à Voltaire et L'esquive, Kechiche a assurément marqué le cinéma des années 2000.

6. Le fabuleux destin d'Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet (2001)

Au début de la décennie, nous avons tous craqué pour Amélie, ce petit bout de bonne femme de Montmartre qui, issue d'un milieu où la vie est si difficile que même les poissons rouges s'extirpent eux-mêmes de leur bocal pour se suicider, décide un jour de se faire marchande de bonheur pour son entourage. Parsemé de bouffées de tendresse, marqué par des traits de mise en scène aussi inventifs qu'étonnants, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain est un concentré de bonheur sur pellicule. Audrey Tautou a magnifiquement incarné cette fable des temps modernes.

7. Dancer in the Dark de Lars Von Trier (2000)

Von Trier ne serait probablement pas d'accord. Il préférerait assurément voir Dogville dans cette liste. Ou même Antichrist. À chaque visionnement, Dancer in the Dark me bouleverse pourtant toujours autant. Ce mélodrame, dans lequel une jeune ouvrière perdant la vue met toute son énergie pour trouver l'argent nécessaire afin de payer à son fils une intervention chirurgicale, est ponctué d'envolées mémorables. Comme il l'avait fait dans Breaking the Waves, Von Trier pousse l'émotion jusque dans ses derniers retranchements. La musique de Björk fait le reste.

8. La vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck (2007)

Dix-huit ans après la chute du mur de Berlin, Florian Henckel von Donnersmarck a proposé un film remarquable, dont l'intrigue est campée en Allemagne de l'Est en 1984, à une époque où personne ne pouvait encore deviner que la guerre froide tirait à sa fin. À travers l'histoire d'un dramaturge célébré par les autorités communistes, mais qui fait néanmoins l'objet d'une surveillance serrée, le réalisateur allemand brosse un portrait de société fascinant. Qui convainc évidemment par sa grande rigueur sur le plan politique, mais aussi, surtout, par son extrême délicatesse sur le plan psychologique. Das Leben der Anderen est une oeuvre majeure, collée à un chapitre sombre de l'histoire du XXe siècle.

9. Elephant de Gus Van Sant (2003)

Une journée dans la vie d'une école secondaire ordinaire américaine. Il ne s'y passe rien, en apparence. Patiemment, Gus Van Sant promène sa caméra sur tous ces petits détails qui construisent un quotidien. Des jeunes sans histoire, comme il en existe des milliers, des millions. De vrais ados. Qui jouent leur propre rôle. Deux d'entre eux s'enferment dans leur bulle. Dont ils ne sortiront jamais. Librement inspiré par la tuerie de l'école Columbine, Elephant évoque brillamment cet «éléphant dans le salon» qu'est le problème du désoeuvrement et de la violence chez les jeunes. On fut longtemps hanté par les visages de ces ouailles sacrifiées. Van Sant n'a pas volé sa Palme d'or au Festival de Cannes.

10. Bowling for Columbine de Michael Moore (2002)

Qu'on soit d'accord avec sa démarche ou pas, Michael Moore a sans contredit marqué le cinéma des années 2000. À l'instar d'Elephant, le documentaire Bowling for Columbine fut aussi inspiré par les événements tragiques survenus à l'école du Colorado. Dans ce film, Moore montre par l'absurde comment on entretient aux États-Unis une culture de la violence en instaurant un climat de paranoïa perpétuel. Le trublion brosse un portrait implacable de la société américaine, de la logique terrifiante qui l'anime, de ses modes de fonctionnement. Sa cible: la prolifération des armes dans les foyers. Les questions posées, bien que n'appelant pas de réponses, sont d'une effroyable pertinence. Moore a profondément influencé la forme du documentaire.

Pour joindre notre journaliste: mlussier@lapresse.ca