D'entrée de jeu, il faut oublier A Serious Man, An Education, The Blind Side, District 9 et Up. Ces cinq «intrus» se retrouvent en nomination aux Oscars dans la catégorie du meilleur film de l'année grâce à ce nouveau règlement - complètement ridicule - en vertu duquel on a doublé le nombre de productions sélectionnées. Un sacre pour l'un ou l'autre de ces titres relèverait carrément du miracle. La «vraie» course se tient plutôt entre les cinq films ayant aussi été retenus dans la catégorie de la meilleure réalisation.

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Dans les faits, cela nous mène tout droit à une lutte sans merci entre Avatar et The Hurt Locker. Entre James Cameron et Kathryn Bigelow. Pariez un deux qu'on en aura pour un bout à tout mêler, le roi du monde et l'amazone à la caméra musclée ayant été mariés dans une autre vie. Hier, on s'en donnait déjà à coeur joie dans la blogosphère à propos de cette rencontre au sommet du club des ex...

Il n'y a pas vraiment de grandes surprises dans la liste annoncée hier à 5 h 38 (heure du Pacifique) par le président de l'Académie Tom Sherak et l'actrice Anne Hathaway. Dans les catégories de pointe, toutes les sélections sont pratiquement identiques à celles établies par les différentes associations professionnelles.

Par exemple, les 20 acteurs cités aux Oscars avaient déjà tous été mentionnés, à une exception près (Maggie Gyllenhaal plutôt que Diane Kruger), aux Screen Actors Guild Awards. Même Penelope Cruz a survécu au désaveu de Nine, disparu aussi vite des écrans radars qu'il y était apparu...

Autre exemple, les cinéastes nommés dans la catégorie de la réalisation sont aussi les mêmes qu'avait choisi la Directors Guild Association.

À vrai dire, la seule vraie surprise réside dans la réserve - relative - dont ont fait preuve, malgré tout, les académiciens. Face à la lame de fond Avatar, et la pluie de records qu'elle emporte sur son passage, les «professionnels de la profession» n'ont finalement retenu la superproduction de James Cameron «que» dans neuf catégories, dont celles, incontestables et méritées, dévolues aux aspects techniques. Bon, d'accord. Des substances inconnues trouvées sur Pandora les ont probablement fait délirer au point de sélectionner l'insupportable trame musicale de James Horner. Ce dérapage mis à part, il n'y a rien à redire.

Or, la pression était forte. Depuis quelques années, l'Académie - comme à peu près toutes les organisations à la tête des différents galas - se fait souvent accuser de désaffection publique. On lui reproche en outre de ne célébrer l'excellence qu'à travers des oeuvres d'auteurs «qui n'intéressent personne». Les cotes d'écoute périclitent; l'intérêt s'étiole.

D'où cette décision incongrue - visiblement prise sous l'emprise de la panique - de revenir près de 70 ans en arrière en lançant dans la mêlée 10 candidats plutôt que 5 en vue du titre suprême. D'où, aussi, cette volonté de mettre en lumière des productions plus «populaires» ralliant à la fois professionnels et public.

Quand Titanic a mis des statuettes plein sa cale il y a 12 ans, les cotes d'écoute de la soirée des Oscars n'ont jamais été meilleures. Dimanche, les prix Grammy ont aussi attiré de plus larges auditoires en célébrant des artistes ayant dominé les palmarès. Ceci explique cela. Dans ces circonstances, il est fort tentant de céder à la vague populiste.

Toutes ces considérations viendront-elles à l'esprit de l'académicien quand il cochera les cases de son bulletin au scrutin final? Sans doute.

Si, comme on peut le prévoir, Avatar décroche l'ultime titre hollywoodien le 7 mars, il faudra peut-être y voir alors une manoeuvre corporatiste destinée à redorer le blason de l'Académie - et de la profession en général - dans l'imaginaire collectif. Comme un réflexe d'autodéfense pour une organisation à qui l'on colle présentement - insulte suprême - une étiquette élitiste.

Je suis convaincu que des membres voteront de façon sincère pour Avatar. Plusieurs autres le feront en sachant très bien qu'en matière d'excellence, la fable écolo de Cameron ne remplit pas tous les critères. En 81 cérémonies, jamais un long métrage n'a obtenu l'Oscar du meilleur film sans avoir au moins été cité aussi dans la catégorie du scénario. Ah si. Deux fois. The Sound of Music en 1965. Et... Titanic en 1997!

Si jamais James Cameron devait de nouveau enlever les grands honneurs avec ce même cas de figure (Avatar n'est pas en lice pour le scénario original), il prouverait ainsi, plus encore maintenant qu'à l'époque de Titanic, que la qualité de l'écriture ne constitue désormais qu'un élément négligeable dans l'élaboration d'un film. Les membres de l'Académie sont-ils prêts à envoyer ce message au monde?

Il reste un mois pour réfléchir à la question.

Sinon, l'autre fait marquant est la présence, en tant que favorite, de Kathryn Bigelow. La réalisatrice de The Hurt Locker risque d'être la première femme à mettre la main sur l'Oscar de la réalisation. Bel accomplissement pour cette cinéaste qui, depuis toujours, exprime son féminisme en faisant du cinéma de mec, sur le même terrain que ses collègues.

Signalons par ailleurs les trois nominations recueillies par The Young Victoria (Jean-Marc Vallée), notamment celle de Patrice Vermette dans la catégorie de la meilleure direction artistique.

En attendant la conclusion de la lutte épique entre Le ruban blanc et Un prophète, dont on ne peut deviner l'issue tant les pronostics pour le film étranger sont inutiles (Fausta - La teta asustada pourrait mêler les cartes), voici comment se profile la course dans les catégories principales. Même si tout peut encore changer au fil de la campagne, votre «pool» devrait être de bonne tenue.

Voici le mien: Film: Avatar. Réalisation: Kathryn Bigelow (The Hurt Locker). Actrice: Sandra Bullock (The Blind Side). Acteur: Jeff Bridges (Crazy Heart). Actrice soutien: Mo'nique (Precious). Acteur soutien: Christoph Waltz (Inglourious Basterds). Scénario (original): The Hurt Locker. Scénario (adaptation): Up in the Air.

Ne me remerciez pas. Ça me fait plaisir.