«Il t'arrivait d'avoir de brusques angoisses éruptives, cette maladie profonde de l'âme qui consume le corps, qui est le propre des grandes actrices.» Cette phrase a été écrite par Gérard Depardieu il y a 22 ans. Dans Lettres volées, l'acteur avait regroupé des missives envoyées aussi bien à ses proches qu'à des collègues acteurs et cinéastes. Celle-là était destinée à Isabelle Adjani. Forts de leurs retrouvailles sur le plateau de Camille Claudel, Depardieu évoquait alors leur premier film commun: Barocco d'André Téchiné.

Ces souvenirs sont remontés à la surface la semaine dernière quand Gégé a investi la scène du Théâtre du Châtelet pour remettre le César de la meilleure actrice. Quand elle a entendu son nom de la bouche de son vieux complice, quand elle a réalisé qu'elle était la lauréate, Isabelle Adjani a longuement recouvert son visage avec ses mains en restant clouée sur son siège. Elle s'est ensuite levée, s'est avancée vers la scène en silence (la musique s'était tue depuis longtemps) et a étreint Depardieu très fort. Elle a ensuite tenté péniblement de s'adresser à la foule. L'exercice était difficile tellement les sanglots l'étranglaient.

Même si elle recevait samedi le cinquième César de sa carrière, soit plus que n'importe quel autre acteur ou actrice, Isabelle Adjani voyait en cette récompense une signification particulière. Elle a d'abord imputé sa vive émotion au fait d'obtenir un trophée pour un «petit film auquel personne ne croyait». Elle a aussi voulu parler de résistance et des difficultés que rencontre sur son parcours une actrice «en quête d'engagement». Pour elle, sa participation à un film comme La journée de la jupe, dans lequel elle incarne une enseignante qui pète les plombs dans un lycée de banlieue, est clairement un acte social et politique.

Or, il y avait bien plus que cela dans les sanglots de l'actrice. Même si ses talents de tragédienne ont été mis à profit dans son discours, on y dénotait une vraie souffrance, à la frange du malaise. Un peu le même genre d'instant suspendu que nous a offert Annie Girardot quand, sacrée meilleure actrice second rôle pour La pianiste en 2002, elle avait déclaré «ne pas être tout à fait morte».

On le sait; ce métier est dur pour les actrices. Beaucoup plus que pour les acteurs. Il y avait d'ailleurs un contraste évident dans cette image que nous renvoyaient les deux monstres sacrés sur scène. Depardieu, soixantaine bien entamée, peut bien se permettre de se foutre de tout; son statut reste intact. On l'aime pour ça. Il arrive nonchalamment, lourd de ses expériences rabelaisiennes, saluant l'auditoire sans micro et s'avançant d'un pas de pachyderme. Il est hors normes. Et parvient à trouver régulièrement des rôles qui cadrent avec sa nature d'acteur d'exception. Dans le cas d'Adjani, tout aussi hors normes que son comparse, ce statut est devenu plus encombrant qu'autre chose avec les années. D'où la difficulté de trouver des personnages à sa (dé)mesure. Et, probablement aussi, la tristesse de constater que le temps passant, il y a pour elle des deuils à faire. C'est épouvantablement injuste.

Le retour d'une icône

Autre moment émouvant cette semaine, la présence de Danielle Ouimet dans Les signes vitaux, le très beau film de Sophie Deraspe (à l'affiche aujourd'hui). Celle qui a symbolisé la libération sexuelle du Québec ayant depuis longtemps délaissé son métier d'actrice au profit d'une carrière d'animatrice, le cas de figure n'est d'évidence pas du tout le même que celui d'Isabelle Adjani. Mais j'admire l'aplomb d'une femme qui, 40 ans après avoir enflammé le pays en montrant son corps dénudé dans Valérie, s'abandonne aujourd'hui dans un film où prime le langage corporel d'individus face à la mort. Du coup, je me suis rappelé comment l'icône avait dans sa prime jeunesse courageusement prêté son image à un segment des Filles du Roy, un film-collage d'Anne-Claire Poirier sur l'histoire de la servitude des femmes au Québec. Voilà ce qu'on appelle une démarche d'actrice. Et c'est beau à voir.

Prêts pour le grand soir?

On sait que les Oscars approchent quand des individus sortent soudainement de nulle part pour revendiquer la paternité de l'histoire d'un long métrage sorti il y a près d'un an. Peu importe les «controverses» ayant entouré The Hurt Locker (Démineur) cette semaine, le film de Kathryn Bigelow reste le grand rival d'Avatar. On verra par ailleurs dimanche si tous les efforts qu'a mis l'Académie pour remonter ses cotes d'écoute et rajeunir son auditoire, parfois au prix du ridicule, auront porté leurs fruits.