Dès la fin de la soirée des Golden Globes, à la mi-janvier, les preneurs aux livres étaient prêts à remettre sur-le-champ l’Oscar du meilleur film à Avatar de James Cameron. Bien des observateurs aussi.


En deux semaines, le vent hollywoodien avait changé de cap. Le grand favori de l’automne, Up in the Air de Jason Reitman, était pratiquement écarté de la course, et le chouchou de la critique, The Hurt Locker de Kathryn Bigelow, en position de tête à la fin d’année à la faveur des palmarès d’associations de journalistes, devenait le négligé.


Avatar, sorti à la mi-décembre, avait tout écrasé sur son passage, comme l’armée commandée par l’insupportable personnage de Giovanni Ribisi sur la planète Pandora. Le record d’audience de Titanic était à portée de main, James Cameron avait le vent en poupe et on pouvait déjà craindre de l’entendre à nouveau crier «Je suis le roi du monde» au Kodak Theater (pourquoi pas de l’univers, tant qu’à y être?).


Un mois et demi plus tard, le sacre du roi semble moins certain. On ne déroulera pas le tapis bleu trop vite. Le favori d’avant-hier est redevenu le favori de demain. Nombre d’experts prédisent désormais une courte victoire à The Hurt Locker dans la catégorie reine des Oscars, même si Avatar est loin d’avoir rendu les armes.


Que s’est-il passé depuis le 17 janvier pour que David reprenne le dessus sur Goliath dans la très médiatisée «guerre des ex» (James Cameron et Kathryn Bigelow ont été brièvement mariés à la fin des années 80)? M’est avis que les prix Golden Globes de James Cameron (celui du meilleur film et de la meilleure réalisation), remis par l’énigmatique Hollywood Foreign Press Association (quelque 80 membres votants), ont nui à sa campagne aux Oscars.


On a pu observer l’effet de ressac dans les heures qui ont suivi la remise de prix. Le lendemain, le très influent critique américain Roger Ebert, auteur d’une critique plutôt élogieuse du film de James Cameron dans le Chicago Sun-Times, y allait de cette remarque sentie sur Twitter: «All hail Avatar, yes, but the year’s best picture? Give me a f--king break» (traduction libre: «Acclamons Avatar, soit, mais le meilleur film de l’année? Voyons donc!»)


Le sentiment de Roger Ebert, qui a perdu il y a quelques années l’usage de la parole – à cause d’un cancer – mais pas le sens du punch, a été partagé dans les médias par plusieurs critiques (j’en suis), voyant dans Avatar une formidable réussite technique au service d’un scénario convenu et simpliste.


The Hurt Locker, une œuvre sensible, haletante et percutante sur une escouade de démineurs en Irak, a-t-elle profité du ressac? Qui sait. La cote du film de Kathryn Bigelow en prévision des Oscars est certainement meilleure aujourd’hui qu’au lendemain des Golden Globes.


Les remises de prix des associations professionnelles ont donné le ton, en ce sens, depuis quelques semaines. Celle de la Screen Actors Guild, le syndicat des acteurs américains, a ignoré les interprètes d’Avatar (aucun n’était même finaliste). Celle de la Directors Guild of America, le syndicat des réalisateurs, a fait de Kathryn Bigelow la première femme en 62 ans à recevoir son plus prestigieux prix. Même la Producers Guild, l’association des producteurs, a plébiscité The Hurt Locker, un film de perpétuelle tension qui n’a pourtant cumulé que 13 millions de dollars au box-office.


La tendance s’est maintenue à la soirée des BAFTA, les «Oscars britanniques», où The Hurt Locker a eu le dessus sur Avatar dans les catégories de pointe, confirmant son statut retrouvé de favori aux Oscars.


On remettra l’Oscar du meilleur film à The Hurt Locker, donc? Pas sûr. La popularité incroyable d’Avatar ne risque pas de nuire à ses chances de récolter quantité de prix, d’autant plus que le système de votation (pondéré) et le nombre de candidats (passé de cinq à dix) dans la catégorie la plus prestigieuse des Academy Awards rend tout pronostic hasardeux.


Aussi, les jeux de coulisses de la course aux Oscars étant de plus en plus rudes, des observateurs ont remarqué que des studios avaient mené récemment une campagne afin de discréditer The Hurt Locker en rappelant que le film avait été peu vu alors qu’un objectif avoué de l’Académie est de rallier davantage le grand public à sa soirée strass et paillettes grâce à des films populaires.


Qui repartira avec des statuettes dorées demain? Je me risquerai à ces quelques prédictions: il y en aura pour un peu tout le monde, notamment dans les catégories de scénarios (Quentin Tarantino? Jason Reitman?). Les prix de la Screen Actors Guild et de la Directors Guild étant d’ordinaire un indicateur plutôt fiable des Oscars, on peut parier que Mo’Nique, Christoph Waltz, Sandra Bullock, Jeff Bridges et Kathryn Bigelow monteront sur scène.
L’Oscar du meilleur film? Ça vaut ce que ça vaut, mais, sachant que les acteurs forment la majorité des électeurs, et supposant qu’ils ne sont pas enclins à célébrer un film qui se passe allégrement d’eux (Avatar), je crois que The Hurt Locker sera sacré meilleur film de 2009. Mais je peux bien sûr me tromper. Ce ne sera pas la dernière fois...