«The time has come.» Le jour est arrivé, a lancé Barbara Streisand d'une voix émue, avant de révéler le nom de Kathryn Bigelow, la toute première femme en 82 ans d'histoire à remporter l'Oscar de la meilleure réalisation.

Sonnée par cette improbable victoire, la lauréate s'est avancée sur scène comme si elle était la première femme à marcher sur la Lune et qu'elle avait peur que le sol se dérobe sous ses pieds. Cinq minutes plus tard, un autre choc l'attendait: l'Oscar du meilleur film de l'année pour The Hurt Locker, son film à petit budget qui devait en principe être battu au fil d'arrivée par l'éléphantesque Avatar de son ex.

La beauté de ce couronnement, c'est qu'il est pleinement mérité. Le Hurt Locker n'est pas un petit film insignifiant. C'est une oeuvre à la fois riche, profonde et étonnante, parce que moralement ambiguë. Si le film a raflé les grands honneurs de la soirée, c'est d'abord pour ses qualités cinématographiques puis pour le talent, et non le sexe de celle qui l'a réalisé.

En même temps, prétendre que la politique n'a joué aucun rôle, c'est se cacher la tête dans le sable. La politique a dû jouer un rôle en raison de la nature même de The Hurt Locker, mais surtout de son rival, Avatar, un film franchement antimilitariste et plutôt antiaméricain réalisé par un Canadien qui se prend parfois pour un autre, mais rarement pour un patriote. On a souvent évoqué les fabuleuses recettes de 2,5 milliards récoltées par Avatar en oubliant un élément: 72 % des recettes proviennent de l'étranger contre seulement 28 % du marché américain. De toute évidence, l'antiaméricanisme est ce qui a plu aux Européens et déplu aux Américains, froissés de se voir décrits comme des envahisseurs sans scrupules qui menacent la survie même de la Terre.

Le scrutin de l'Académie, à cet égard, est représentatif des divisions que le film de Cameron a créées aux États-Unis. Les membres de l'Académie auraient pu endosser la charge de Cameron, mais comme ils ne sont ni des révolutionnaires ni des anarchistes ni même des pacifistes, ils ont préféré regarder ailleurs.

J'en soupçonne plusieurs d'avoir voté pour le film de Bigelow uniquement pour punir James Cameron de son manque de patriotisme.

Quant aux autres, s'ils ont voté pour The Hurt Locker, c'est peut-être parce que le film offre une sorte d'accommodement raisonnable face à la guerre en Irak. Le film ne condamne pas la guerre ni ceux qui, collectivement, la font au quotidien. Au contraire. Le film individualise la guerre en affirmant que, pour certains, elle est une drogue dure dont ils ne peuvent se passer. Cela n'en fait pas des monstres pour autant. Seulement des amateurs de sensations fortes qui ont besoin de son adrénaline pour vivre.

Le fait que Kathryn Bigelow ait tenu à dédier son Oscar «à ces femmes et ces hommes de l'armée qui risquent leur vie tous les jours en Irak et en Afghanistan» n'est peut-être pas une déclaration politique mais elle n'est pas innocente non plus. On voit mal le réalisateur d'Avatar en faire autant.

Tout cela pour dire que la victoire de Kathryn Bigelow est certes la victoire d'une femme talentueuse et courageuse, mais c'est aussi la victoire d'une guerrière qui a fait un film d'hommes, un film d'action et un film de guerre comme la machine hollywoodienne, constituée majoritairement d'hommes, les aime.

Alors oui, le jour est enfin arrivé où une femme a fait voler aux éclats le plafond de celluloïd des Oscars. Espérons seulement qu'à l'avenir cet honneur ne sera pas réservé aux hommes et aux guerrières qui font des films d'hommes.