La colère est mauvaise conseillère, dit-on généralement. Pas toujours. Elle serait même plutôt salvatrice parfois. Et gardienne de notre dignité d'être humain. Le coup de sang qu'a exprimé cette semaine dans une lettre ouverte Marquise Lepage à la suite du suicide du producteur-réalisateur Marcel Simard m'a atteint droit au coeur.

C'est qu'en pleurant la mort de son ami, la réalisatrice de Martha qui vient du froid pose aussi des questions fondamentales - et douloureuses - sur la création, sur ce qui fait la richesse culturelle d'un peuple. Elle remet en outre en cause un système de financement qui, progressivement, étouffe les voix de ceux qui choisissent d'exprimer leur art autrement qu'à travers des produits formatés, principalement sous la forme du documentaire ou du film d'auteur.

«Je suis en colère contre un système qui semble oublier l'importance, pour toute la société, d'avoir accès à une vaste diversité d'oeuvres culturelles de qualité, écrit-elle. Je suis en colère de voir une «industrie» soutenue par tous les citoyens - et dont la raison d'être est justement notre différence culturelle - se diriger vers un calque de la culture américaine. Je suis en colère de constater que les créateurs et les créatrices d'ici sont de plus en plus les otages des diktats de la grille horaire des télédiffuseurs, des cotes d'écoute et du potentiel commercial des oeuvres.»

Le virage qu'ont emprunté les institutions en privilégiant un cinéma plus «commercial» au cours des récentes années se révèle d'autant plus ironique aux yeux de la réalisatrice que les produits audiovisuels - même populaires - ne génèrent jamais de profits dans les coffres de l'État.

Régulièrement, cette discussion revient. Quelle orientation devrions-nous donner à notre cinématographie nationale? Comment trouver l'équilibre entre les productions à vocation populaire et les démarches d'auteur plus soutenues? Où est l'espace de réflexion nécessaire à une époque où tous les «produits» culturels se consomment instantanément de façon «égale»?

«Je suis en colère que l'on ferme les yeux sur les drames humains qui se cachent derrière des politiques injustes et injustifiables», renchérit Marquise Lepage.

J'ai un fils écrasé par les temples à finances
Où il ne peut entrer
Et par ceux des paroles
D'où il ne peut sortir...

- Félix Leclerc (L'alouette en colère)

Salut Marcel.

Une voix de moins dans la bible

Le drame n'est pas du tout de même nature - il n'y a pas eu mort d'homme - mais l'onde de choc a néanmoins été fortement ressentie dans le milieu du cinéma international. Après 31 ans de service, Todd McCarthy, critique en chef du journal spécialisé Variety, a été remercié, la vénérable institution préférant désormais faire appel à des journalistes pigistes, payés moins cher. Cette nouvelle peut sembler banale. Elle ne l'est pas.

Variety, auquel collabore notamment notre collègue de The Gazette Brendan Kelly, est la bible du milieu du cinéma. Dans un grand festival, ou lors d'un marché du film, le premier réflexe des professionnels au petit matin est de mettre la main sur l'édition quotidienne que publie le journal pour l'occasion, histoire d'être au parfum de la moindre rumeur entourant un film. Grands pushers de buzz en tous genres, les journalistes du Variety ne font pas le goût, mais ils ont une influence certaine, spécialement sur le marché américain.

Les valeurs artistiques de chaque production sont évaluées, mais aussi son potentiel commercial. D'où l'intérêt des pros. La rumeur favorable ayant entouré The Young Victoria, le film de Jean-Marc Vallée, est d'ailleurs née l'an dernier d'une recension positive dans le Variety au marché du film tenu en marge du Festival de Berlin.

McCarthy faisait figure d'autorité absolue, lui dont le mandat était de recenser les films les plus importants, les plus attendus. L'annonce de son renvoi a suscité un tollé dans la blogosphère. L'éminent critique Roger Ebert a spontanément annoncé sur Twitter l'annulation de son abonnement. Il est toutefois revenu sur sa décision en constatant que d'autres plumes respectables allaient quand même s'y faire valoir.

Cette nouvelle est en tout cas symptomatique de la profonde transformation du monde des médias sur le plan économique. Et tout autant dans son rapport avec la fonction de critique, surtout dans la manière dont celle-ci s'exerce aux États-Unis. Pour combien de temps encore?

De l'autodestruction?

Certains observateurs ont vu dans la victoire de The Hurt Locker sur Avatar aux Oscars un geste d'autodestruction du milieu hollywoodien. Comment peut-on voter contre un film qui, d'une certaine manière, assure la pérennité de votre milieu, voire même sa survie? Non, le cinéma américain ne s'est pas fait hara-kiri parce que le film de Kathryn Bigelow a décroché dimanche les plus grands honneurs. En principe, un vote n'est pas un geste corporatif. Plutôt un élan du coeur. Quand on célèbre l'excellence, on fait habituellement fi des chiffres pour se concentrer sur la production ressemblant davantage à l'idée qu'on se fait d'un grand film. Visiblement, The Hurt Locker avait plus de mérites qu'Avatar aux yeux des membres votants. On peut être d'accord ou pas. Hollywood n'en mourra pas pour autant.