Une oeuvre doit-elle rejoindre un public pour être valable? La question me semble fondamentale.

Téléfilm Canada, qui finance avec la SODEC le cinéma québécois, ne se pose plus la question depuis longtemps. Parmi ses critères d'évaluation pour l'octroi de subventions à des longs métrages en français, moins de la moitié concernent des «éléments créatifs», alors que 55 % font référence à des «éléments financiers ou corporatifs» entourant un film ainsi qu'à sa «capacité de rejoindre un public» (35 % de la note finale).

C'est ce qui explique, comme le révèle le dossier de mes collègues Nathaëlle Morissette et Anabelle Nicoud, que des films aux scénarios jugés grossiers, incohérents ou bâclés par les jurys de Téléfilm aient néanmoins profité de l'appui financier de l'organisme fédéral. La raison de ce non-sens? Ces films auraient, toujours selon Téléfilm, une valeur commerciale.

Bref, Téléfilm Canada subventionne sciemment des films qu'il juge mauvais parce qu'il présume qu'ils plairont à une vaste audience. Et il refuse de financer de bons films en sachant qu'ils ne s'adressent pas à tout le monde. Absurde.

Les sept jours du talion est l'un des meilleurs films québécois que j'ai vus depuis un an. Le premier long métrage de Podz, un réalisateur qui a fait sa marque à la télévision, a essuyé refus après refus des institutions avant d'être réalisé grâce à une enveloppe discrétionnaire de sa productrice. Téléfilm et la SODEC jugeaient le film trop violent pour intéresser un large public: il vient de dépasser le million de dollars au box-office.

En revanche, combien de mauvais films dits «grand public», financés par Téléfilm et la SODEC, ont fait chou blanc au box-office? Des masses. J'en connais même un qui a fait chou bleu-blanc-rouge (s'cusez-la)...

Les institutions, comme tout le monde, peuvent se tromper. «Nous avons le moins mauvais des pires systèmes», dit le producteur Roger Frappier. Il n'a pas tort. Il y a de moins en moins d'argent disponible pour de plus en plus de créateurs de talent. Le cinéma québécois est coincé dans l'entonnoir. Tout le monde s'entend là-dessus, les organismes subventionnaires inclus... à l'exception du gouvernement conservateur et de ses partisans.

Il reste que le plus inquiétant, à mon sens, n'est pas le manque de moyens mis à la disposition des cinéastes québécois.

Le plus inquiétant, c'est que le potentiel au box-office soit considéré comme une valeur intrinsèque par Téléfilm Canada.

Les recettes aux guichets sont devenues depuis 10 ans une obsession, qui brouille le jugement des institutions. Malgré les récents succès du cinéma québécois, très peu de films québécois font leurs frais. Le cinéma québécois ne sera jamais rentable. Pourquoi alors le traiter comme une industrie conventionnelle? Pourquoi subventionner le compromis commercial, toujours évident à l'écran, quand c'est dans la prise de risque que l'artiste se révèle?

Quantité de films «faits pour rejoindre un public», selon les critères de Téléfilm, ratent leur cible. Parce qu'ils visent la mauvaise cible. La cible, ce n'est pas de rejoindre un public. C'est de faire un film digne de ce nom.