J'ai beaucoup ri. Chaque fois que je rencontre un artisan du cinéma belge, je ne peux résister à l'irrépressible envie de lui demander quel ingrédient miraculeux lui et ses collègues ajoutent sur leurs frites. Ou dans quelle substance magique baignent leurs moules. Il doit bien y avoir au plat pays un secret expliquant une cinématographie nationale aussi originale, aussi riche, aussi appréciée sur le circuit des grands festivals internationaux.

«C'est très simple, m'a expliqué Micha Wald, réalisateur de Simon Konianski (à l'affiche vendredi prochain). Comme nos films n'obtiennent aucun succès sur notre propre territoire, les institutions nous laissent une liberté de création totale!»

Hein?

L'auteur cinéaste, révélé il y a trois ans grâce à Voleurs de chevaux, m'expliquait qu'au royaume des frères Dardenne et de Jaco Van Dormael, les projets sont sélectionnés par la Commission du film via un panel constitué de huit personnes: cinéastes, acteurs, artisans, experts issus du milieu culturel.

«Tous ces gens étant cinéphiles, ils donnent de l'argent pour des films qu'eux-mêmes ont envie de voir! précise Wald. Ceux qui arrivent avec des projets à vocation plus commerciale sont dirigés vers les télés!»

Comme aurait dit dans le temps madame Brossard de Brossard: je crois rêver.

Cette approche fait en tout cas grand contraste avec celle qui, présentement, fait l'objet de tant de discussions au pays. La course au succès dans laquelle les institutions se sont engagées, invitant de force tout le monde à la danse, ne fait évidemment pas que des heureux. Et suscite une inquiétude légitime, tant du côté des créateurs que des cinéphiles.

Sur le flanc commercial, plusieurs croient que la meilleure façon de se faire une place dans un monde dominé par le cinéma hollywoodien est de combattre sur le même terrain, quitte à le faire à armes inégales. Il faudrait ainsi appliquer à nos films les mêmes méthodes, les mêmes formules, aborder les mêmes thèmes sous un angle plus local. Leur argument massue: les recettes engendrées pour un film québécois à succès s'inscrivent forcément au passif des productions américaines. Qu'importe alors que notre cinéma soit confiné à l'intérieur de nos frontières?

En face, les tenants du cinéma de création estiment au contraire que la richesse d'une cinématographie nationale ne s'évalue pas seulement à l'aune du nombre de billets vendus. Qu'elle a en outre la faculté de s'épanouir en rayonnant sur le plan international du seul fait de ses qualités artistiques.

Mais au-delà du débat visant à trouver le meilleur équilibre sur le plan du financement des films, il existe une autre question, fondamentale à mon sens, liée à l'identité. À la manière de fabriquer, de voir, de comprendre.

À force de ne plus miser que sur la «performance» (la SODEC emboîtera aussi le pas en ce sens si l'on se fie aux récentes déclarations de son nouveau président François Macerola), existe-t-il un risque - n'appelons pas cela encore un danger - que les créateurs d'ici se sentent désormais obligés de se conformer à l'idée de ce que les institutions se font du succès? Autrement dit, devront-ils concevoir des projets sans grande personnalité, formatés expressément pour répondre aux attentes des institutions?

Pour un film d'auteur d'exception comme C.R.A.Z.Y., lequel a rallié à la fois public, critique, institutions et professionnels, combien de fois a-t-on tenté de faire recette avec des formules directement sous-copiées de films de genre américains, en empruntant exactement les mêmes techniques de mise en marché? Avec, à la clé, des résultats parfois désastreux?

«Quarante-huit pour cent des points sont alloués à la qualité du scénario dans nos critères d'évaluation, faisait récemment valoir Michel Roy lors de la remise du Guichet d'or à Émile Gaudreault et Ian Lauzon, respectivement réalisateur et scénariste de De père en flic, le plus grand succès populaire de l'an dernier. Visiblement contrarié par le débat qui a cours présentement (il l'a qualifié de «grossière bêtise»), le président du conseil d'administration de Téléfilm Canada a défendu les choix de l'institution fédérale. «Dans ce contexte, a-t-il ajouté, pensez-vous qu'un film ayant un mauvais scénario aurait une chance d'être choisi? Jamais de la vie!»

Évidemment, la valeur d'un script n'est pas la même aux yeux de tous. Il suffit de rappeler que Pour toujours les Canadiens a reçu l'appui des deux institutions dès le premier dépôt.

Au cours de cette même cérémonie, monsieur Roy a laissé entendre que les distributeurs pourraient peut-être, dorénavant, participer au processus de sélection. Si tel était le cas, les créateurs auront tout lieu de s'inquiéter. Leur travail ne consistera plus alors que de fabriquer des produits répondant aux attentes d'un «marché» dont personne ne peut vraiment deviner la teneur. Ce ne sont pourtant pas nécessairement ces films - éminemment oubliables - qui forgent l'imaginaire collectif d'un peuple, ni enrichissent sa culture. Il y a trois ans, alors que La Presse avait établi la liste des 50 meilleurs films québécois de l'histoire à partir d'un sondage effectué auprès de 50 professionnels du cinéma, les films de Jutra, Mankiewicz, Lauzon, Brault, Arcand, Perrault, Carle, Forcier et bien d'autres s'étaient hissés en tête. Aucun d'eux n'a pourtant fracassé de records au box-office.

Que feraient ces cinéastes dans le contexte actuel? Peut-être réclameraient-ils la citoyenneté belge...