L'homme le plus puissant du cinéma, c'est lui. Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes depuis 2007, est un érudit. Et occupe la fonction la plus convoitée - et contestée - qui soit dans le domaine du septième art.

Cet homme courtois est courtisé par tout ce qui gravite de près ou de loin sur la planète cinéma. Il tutoie les bonzes des grands studios hollywoodiens tout autant que les auteurs les plus célèbres. Il a le pouvoir de recaler Francis Coppola si ça lui chante ou de restreindre le nombre de films retenus dans la compétition s'il estime qu'il en est mieux ainsi. Il a appris à dire non plus souvent qu'à son tour. Voilà pourquoi le Festival de Cannes ne perd rien de son aura. Les appelés sont nombreux; les élus, beaucoup plus rares. En sélection officielle (Compétition, Hors-concours, Un certain regard, et Séances spéciales), on ne compte même pas 50 longs métrages au total.

Une telle position amène évidemment sa part de curiosité. Croyez bien que j'ai essayé de décrocher un entretien. L'emploi du temps de Thierry Frémaux étant évidemment surchargé en temps de festival, je n'ai finalement pu obtenir cette faveur. En revanche, je lis tous les jours avec empressement un encadré spécial, intitulé «Thierry Frémaux répond à...», publié dans le journal spécialisé Le film français. Dans cette série quotidienne, le délégué général répond à une question posée par une personnalité du cinéma. En voici quelques-unes, parfois résumées plus succinctement. C'est quand même assez éclairant. *

Mike Leigh, cinéaste (Another Year)

Q : Quand vous sélectionnez un film, vous basez-vous sur vos goûts personnels?

R : Globalement, lorsque nous sélectionnons les films, nous ne sommes pas dans le «j'aime, j'aime pas», mais dans le «faut-il? Ne faut-il pas?». Pour faire une sélection, il faut être relax et méthodique à la fois, libre et convaincu, ouvert à tout, se laisser faire par les films eux-mêmes et ne pas perdre son sang-froid. On ne sélectionne pas les films, ce sont les films qui réclament d'être sélectionnés! Mais je peux très bien ne pas retenir un film que j'aime beaucoup - l'inverse est vrai aussi. Les pressions politiques? Jamais. Les pressions amicales, toujours, et beaucoup plus difficiles à gérer. Mais les pires sont celles qu'on s'impose soi-même. C'est pourquoi je suis heureux de ne pas être seul, même si je dispose du «final cut».

Harvey Weinstein, (The Weinstein Company)

Q : Y a-t-il un film en particulier que tu es fier d'avoir découvert et soutenu dans le festival?

R : Je ne suis pas un obsédé de ça, la découverte, le premier film, toutes ces considérations qu'on fait autour de la jeunesse, etc. J'ai salué celle de Xavier Dolan parce qu'à 21 ans et deux films, il dégage la promesse de quelque chose de consistant pour les années à venir. Mais la route sera longue pour lui. Combien de gens disparaissent des radars sitôt après avoir été «découverts»? De surcroît, un réalisateur qui vient sur la Croisette a forcément été repéré par un producteur, des gens qui l'ont encouragé. Par d'autres festivals aussi: Reservoir Dogs était à Sundance avant d'arriver à Cannes. Sacraliser et s'approprier l'émergence de quelqu'un me gêne toujours un peu.

Isabelle Huppert, actrice

Q : Thierry, tu préfères le foot ou le cinéma? La sélection ou la finale?

R : La réponse est... le cinéma. Ce qui fait intimement partie de soi l'emporte toujours. Cela dit, sport et cinéma, c'est pareil: deux arts populaires, qui disent tout de notre Histoire, de nos vies. Deux grandes inventions du XXe siècle. Ils ont leurs grands maîtres et leurs petits artisans, leurs légendes et leurs mystères. (À part ça, au sujet d'Isabelle Huppert, comme on a entendu tellement de bêtises l'année dernière, j'en profite pour dire qu'elle fut une magnifique présidente en 2009, parfaite à tous égards.)

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* Dans Le film français, 16 mai, 18 mai et 19 mai 2010.