Il en est ainsi dans le petit milieu du cinéma québécois: une chicane n'attend pas l'autre. Dernière en lice, la bisbille entourant le retour du septième art au complexe eXcentris.

Dans le coin gauche, fort de 40 ans de défense du cinéma d'auteur au Québec (au Verdi et à l'Outremont notamment), Roland Smith, actuel propriétaire et programmateur du Cinéma du Parc. M. Smith propose de louer les trois salles de l'eXcentris afin d'y projeter des films complémentaires à ceux qu'il diffuse quelques rues plus loin depuis presque quatre ans.

Par médias interposés, Roland Smith tente depuis quelques semaines de discréditer le projet du Cinéma Parallèle d'acquérir les salles de l'eXcentris grâce à une aide gouvernementale, taxant le Parallèle d'enfant «gâté» de subventions présentant du cinéma «très pointu».

Dans le coin droit, fort de 44 ans d'existence au service du cinéma indépendant, le Cinéma Parallèle, qui occupe depuis 11 ans la plus petite salle du complexe eXcentris. Sa directrice générale, Caroline Masse, a tenu à «rectifier les faits» et réfuter les propos «démagogiques» de Roland Smith, cette semaine, dans une lettre au Devoir cosignée par Daniel Langlois, propriétaire de l'eXcentris.

Mme Masse et M. Langlois reprochent entre autres à Roland Smith de diffuser fréquemment au Cinéma du Parc des oeuvres en format DVD standard (non professionnel) pour des projections payantes publiques, ce qui constitue «un manque de respect pour les oeuvres et pour les cinéphiles».

Roland Smith accuse de son côté le Cinéma Parallèle de projeter des films commerciaux (Mademoiselle Chambon, par exemple) afin de renflouer ses coffres, au détriment de son mandat d'organisme à but non lucratif.

Bref, les couteaux volent bas, il y a de l'amertume dans l'air (pour paraphraser Martine St-Clair) et les cinéphiles ne sont pas plus avancés.

Le projet d'expansion d'eXcentris de trois à cinq salles de cinéma, proposé par le Cinéma Parallèle avec le soutien de Daniel Langlois (disposé à céder ses salles et ses équipements à une fraction de leur valeur) et nécessitant des investissements publics de quelque 13 millions de dollars, a été refusé par le ministère de la Culture, qui a renvoyé la direction du Parallèle à ses devoirs.

Un comité de travail conjoint, impliquant différents représentants du milieu, le Cinéma Parallèle, la Société de développement Angus et le gouvernement du Québec, planche actuellement sur une version modifiée et améliorée du projet.

Espérons que cette nouvelle tentative sera la bonne. Il en va de l'avenir de la diffusion du cinéma international à Montréal et au Québec. «Plus il y aura de salles de cinéma aux quatre coins de Montréal qui présenteront des films internationaux de qualité, mieux se portera la culture au Québec.» Sages paroles... de Roland Smith.

Pour prendre le relais de l'eXcentris, il n'y a pas mieux que des gens qui connaissent déjà l'eXcentris. La logique même veut que la direction du Cinéma Parallèle assure la programmation des salles du complexe, qui ont fait cruellement défaut à la diffusion du cinéma étranger depuis 16 mois. Et si la direction du Parallèle elle-même s'y refusait jusqu'à l'abandon de son projet de cinq salles autour du métro Saint-Laurent l'hiver dernier, le milieu du cinéma envisage ce scénario depuis un moment. Pas tout le milieu, semble-t-il...

S'il y a un temps, pourtant, pour mettre les chicanes de côté, c'est maintenant. La ministre de la Culture Christine St-Pierre, consciente que le milieu du cinéma et le public cinéphile attendent un geste de sa part, a promis de ne pas les «abandonner». Elle ne doit pas laisser passer l'occasion de redynamiser la diffusion du cinéma international au Québec. D'autant que la proposition de vente avantageuse faite par Daniel Langlois représente dans les faits un don évalué par le Cinéma Parallèle à près de 8 millions de dollars. Parions que l'offre ne restera pas indéfiniment sur la table.

Je n'exagère pas en disant qu'il est minuit moins une pour le cinéma international au Québec. L'eXcentris n'est pas un cinéma comme les autres. Il fut pendant ses 10 ans d'exploitation un fleuron culturel, doublé d'un déclencheur d'acquisitions pour les distributeurs de films étrangers.

L'impact de sa fermeture a été considérable. L'offre cinématographique s'est appauvrie en raison du manque de salles, les films d'auteurs internationaux ont connu une baisse de popularité dramatique et les distributeurs, échaudés par les échecs commerciaux, n'ont plus voulu prendre de risques avec des films exigeants trouvant de moins en moins leur public.

Au coeur de cette spirale malheureuse, les cinéphiles ont été laissés pour compte et la cinéphilie, toujours précaire, en a pris pour son rhume. Les chicanes peuvent attendre. Pas le cinéma.