C’est ce que Hollywood a de mieux à offrir. Une superproduction divertissante au possible, alliant des effets spéciaux époustouflants, une distribution de grand talent et un scénario intelligent. Proposition rare ces jours-ci au royaume de la comédie romantique à numéros et du film d’action décervelé (oui, c’est bien l’été).

Le cinéma hollywoodien n’a pas été épargné par la crise économique. La presse spécialisée de Los Angeles ne parle que de ça: de blockbusters qui ne rapportent plus, des supervedettes qui ne garantissent plus de box-office, de studios de plus en plus frileux à sortir des sentiers battus du scénario adapté d’un roman à succès ou de la suite d’une «franchise» ayant fait ses preuves.

Ce n’est pas l’âge d’or du cinéma américain, tant s’en faut. Il est d’autant plus étonnant, dans les circonstances, que Warner Bros. ait donné carte blanche à Christopher Nolan pour scénariser et réaliser Inception, un thriller d’espionnage et de science-fiction tout sauf classique, qui se déroule simultanément dans plusieurs lieux imaginaires, tous issus du rêve.

Il faudrait davantage que cette chronique pour expliquer, dans son menu détail, l’intrigue d’Inception. Je ne m’y risquerai pas. Sinon pour dire qu’il s’agit d’une habile mise en abîme autour du subconscient. Un rêve dans un rêve dans un rêve, à la recherche d’une clé permettant de changer le cours de la réalité.

Ce n’est pas clair? Allez voir le film. Il est complexe, certes, mais d’une rafraîchissante complexité. C’est-à-dire pas compliqué pour rien, pas compliqué artificiellement pour masquer un manque de contenu. La prémisse reste d’une simplicité déconcertante (ce qui rend le film d’autant plus intéressant): l’objectif du héros (Leonardo DiCaprio) n’est pas de conquérir le monde ou d’empêcher sa perte, seulement de rentrer chez lui.

Inception, à l’affiche depuis hier, a tout pour plaire. C’est un film grand public au regard d’auteur qui multiplie les batailles chorégraphiées, notamment dans l’apesanteur, les rebondissements ingénieux et les images somptueuses. Ses effets spéciaux, spectaculaires, sont tout entiers au service d’un scénario cohérent et inventif, aux tiroirs multiples.

C’est, évidemment, un film qui a coûté cher: 160 millions$. Une somme particulièrement salée pour le projet d’un seul homme. Christopher Nolan signe seul le scénario. Il a mené son tournage un peu partout sur la planète (du Maroc au Japon en passant par Londres, L.A. et Paris), sans être surveillé par un bonze de studio ni accompagné par une armée de scénaristes.

La chose peut sembler banale; elle est plus rarissime qu’un bon blockbuster d’été. Christopher Nolan a beau être archi-connu des cinéphiles depuis Memento, il a beau être une légende pour les fanboys depuis The Dark Knight, le dernier Batman, un film qui a engrangé des recettes de plus d’un milliard dans le monde, il demeure, en des termes hollywoodiens stricts, un cinéaste pratiquement «sans nom».

Aussi ridicule que cela puisse sembler, la presse hollywoodienne parlait encore cette semaine du «risque» pris par Warner Brothers en donnant le feu vert au financement du projet original et ambitieux d’un cinéaste qui n’a pas encore la notoriété de Steven Spielberg, de James Cameron ou de Peter Jackson.

«L’intrigue du film ne peut être expliquée dans un clip de 30 secondes à la télévision, la star n’a pas eu beaucoup de succès au box-office récemment, et le cinéaste n’est pas encore très connu (a household name)», écrivait le Los Angeles Times.

Tout ça risque de changer très vite. Christopher Nolan – et incidemment le succès de The Dark Knight – se trouve au centre de la campagne de promotion de 100 millions$ de Warner Bros. pour Inception. Nolan doit tourner l’an prochain son troisième Batman pour le studio, qui espère qu’Inception connaîtra un succès populaire et critique comparable à celui de The Matrix il y a 11 ans.

De nature sceptique, je me suis longtemps demandé si Christopher Nolan n’avait pas surfé sur l’habile déconstruction narrative de Memento, il y a dix ans, pour se tailler une réputation surfaite de whiz-kid. Je n’ai pas été particulièrement impressionné par ses films subséquents, notamment par son dernier Batman, réalisé de main de maître à partir d’un scénario (le sien) qui m’a semblé convenu.

Or avec Inception, je suis convaincu que le cinéaste anglais, qui aura 40 ans à la fin du mois, aura raison même de ses plus farouches détracteurs. Contrairement à M. Night Shyamalan (son cadet de seulement sept jours), dont la pente descendante est constante depuis qu’il a été révélé par The Sixth Sense en 1999, Christopher Nolan est aujourd’hui au sommet de son art. Le maître du blockbuster d’auteur hollywoodien. N’en déplaise à une certain «roi du monde» autoproclamé.