Patrick Huard est acteur, humoriste, réalisateur, auteur, animateur, metteur en scène et producteur. C’est ainsi qu’il se présente sur son site internet. Il ne s’en vante pas, mais il fait aussi la cuisine et il chante le blues.

Huard a tout pour lui: du sex-appeal, du succès, du talent, de l’argent. Il a un sens comique hors du commun (à preuve, son très efficace personnage de Rogatien dans Taxi 0-22) et - ce n’est pas donné à tous les humoristes - il sait jouer la comédie.

Bon humoriste, bon acteur, Patrick Huard pourrait être tenté de croire qu’il a tous les talents. Malheureusement, il ne met aucun de ceux-ci à profit dans son nouveau film, Filière 13, une désolante comédie policière qui prendra l’affiche mercredi.

Par un étonnant malentendu, Patrick Huard, acteur, humoriste, producteur, bluesman, sex-symbol, homme-orchestre, a cru qu’il était cinéaste. Malgré tous les efforts qu’il déploie pour s’en convaincre, il ne l’est pas le moindrement. Un coup d’œil, même distrait, à Filière 13, permet de mesurer l’ampleur de la méprise.

Ruptures de ton constantes, direction d’acteurs à géométrie variable, effets de réalisation plaqués et maladroits, abus de filtres, cette pénible comédie multiplie les clichés: de la cascade au ralenti au-dessus d’un landau de bébé à une chorégraphie de bagarre tellement peu fluide qu’elle semble tirée d’une télésérie ukrainienne bas de gamme.

C’est sans parler de l’attaque de décolletés plongeants - toujours au premier degré, même dans le cabinet du médecin - et de la mise en scène navrante de «jokes de tapettes». Un condensé des «choses à éviter absolument, même si sa vie en dépend» d’un manuel de réalisation pour débutants.

Si Filière 13 se contentait d’être un four, on n’en ferait pas une chronique. Mais c’est un four mal réalisé par un amateur sans autocritique qui ose en plus se plaindre sur toutes les tribunes du «manque de moyens» dont il a disposé. Filière 13 a coûté 5,1 millions de dollars à produire. Combien de films signifiants peut-on produire avec 5,1 millions? Je préfère ne pas trop y penser...

Le cinéma, faut-il le rappeler, est un luxe au Québec. C’est un art qui coûte très cher, et qui est largement subventionné par des fonds publics. Ce n’est certainement pas un passe-temps pour dilettantes, un joujou à partager avec ses proches.

Patrick Huard, malgré tous ses autres talents, ne propose aucune vision de cinéaste. Son film est, au mieux, un travail bâclé d’apprenti tâcheron. Une comédie sans signature, qui aurait pu avoir été produite dans n’importe quel pays, à n’importe quelle époque. Directement de la fabrique à saucisses.

La principale, sinon la seule qualité de Patrick Huard comme «cinéaste» est sa notoriété. La vérité, c’est qu’à talent égal, si Huard s’appelait Pierre-Jean Jacques, Filière 13 n’aurait jamais reçu de financement public.

Réaliser un long métrage de fiction, au Québec, est un privilège. Très peu y ont accès. Les fonds disponibles à la production sont ridiculement bas. C’est ce qui explique que des cinéastes établis n’ont pas tourné depuis des lustres. Et que de jeunes réalisateurs extrêmement talentueux - je pense entre autres à Yves Christian Fournier (Tout est parfait) - se voient refuser une aide précieuse et la possibilité de construire une cinématographie conséquente.

Robert Lepage a cessé de faire des films parce que, semble-t-il, il n’y avait pas assez de fonds publics disponibles pour lui permettre de poursuivre son œuvre de cinéaste. Pendant ce temps, collectivement, nous faisons le choix de financer de mauvais films génériques, des caprices de vedettes comme Filière 13 qui, même s’ils connaissent un grand succès au box-office, ne feront jamais leurs frais.

Pour un pays à la cinématographie fragile, qui parvient difficilement à soutenir des cinéastes compétents, c’est à mon avis un luxe qu’on ne peut pas se permettre.