Soyons poli. Parlons de dents de scie pour qualifier la compétition mondiale du 34e Festival des films du monde. Même s'il y a bien d'autres expressions qui nous viennent à l'esprit...

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La compétition a atteint les bas-fonds hier, entre autres avec Box - l'affaire Hakamada, un film empesé, simpliste et manichéen, aux effets douloureusement datés. Le cinéaste Banmei Takahashi, qui a fait ses classes dans les «films roses» japonais au début des années 70, a entrepris de raconter l'histoire (véridique) d'Iwao Hakamada, un ancien boxeur condamné à mort pour le meurtre d'un homme d'affaires et sa famille en 1966.

Le récit est présenté du point de vue de Norimichi Kumamoto, l'un des trois juges ayant présidé au procès de Hakamada. Le juge Kumamoto, qui a démissionné de son poste peu après le verdict, a révélé il y a quelques années, dans un livre qui a fait grand bruit au Japon, être convaincu que le condamné avait été injustement accusé. Iwao Hakamada, qui a épuisé tous ses recours en appel, est toujours dans le couloir de la mort, en attente d'une exécution. Il a 73 ans.

On pense évidemment à l'histoire de Rubin Carter, un autre boxeur condamné pour un meurtre qu'il n'a pas commis, qui a inspiré une chanson célèbre à Bob Dylan, Hurricane, puis un film du même titre du Canadien Norman Jewison. Fin de la comparaison.

Benmei Takahashi a pris le prétexte de l'année de naissance commune du juge et de l'accusé pour tracer un parallèle entre les vies de Kumamoto et de Hakamada. Sa démonstration est tellement appuyée, et de manière si laborieuse, que le sujet de son film, pourtant fort, est noyé dans le pathos, les explications superflues et une musique particulièrement insupportable.

Film à thèse se déroulant essentiellement dans une salle d'interrogatoire et un tribunal (l'évocation du procès est interminable), Box multiplie les effets malheureux, à l'appui d'un scénario convenu, traité de manière convenue. La mise en scène fleure l'amateurisme, comme le jeu de certains des acteurs, qui campent des personnages caricaturés à outrance.

Si Box est amateur, il ne l'est certainement pas autant qu'un autre film présenté en compétition hier: L'héritage perdu, du Guadeloupéen Christian Lara, réalisé au Gabon avec les moyens du bord. Cette fable sur l'héritage de la diaspora africaine donne l'impression d'un film étudiant tourné dans les années 70 avec une caméra Super 8. Tout, du mauvais jeu théâtral des acteurs à la bande sonore vieillotte, sans oublier une qualité de l'image plus qu'approximative, témoignent de conventions d'une époque révolue.

À vrai dire, L'héritage perdu est tellement mauvais que c'est presque une qualité. D'ailleurs, contrairement à Box, le film de Christian Lara, 71 ans, a le mérite d'être original, avec ses personnages mythiques, ses prophéties légendaires et ses effets spéciaux indignes même d'un péplum de série B. On se demande, pour finir, si cette production n'a pas été qu'un prétexte pour filmer quantité de belles femmes aux seins lourds et nus. Pour ajouter à l'amateurisme, le cinéaste nous confiait hier que le synopsis du film décrit dans le catalogue du FFM est celui... d'une de ses oeuvres précédentes. Décidemment.

Viva Mexico!

Heureusement, il y a toujours un film, à minuit moins une, pour sauver l'honneur du FFM en compétition. Hier, c'était le tour de De la infancia, du Mexicain Carlos Carrera, une oeuvre inspirée portant sur la famille, dans toutes ses zones d'ombre.

Le jeune Francisco a de la graine de délinquant, son père est un vaurien, ses oncles des bandits. Dans la nouvelle maison de fortune que son père a dénichée pour lui, son frère, sa soeur et leur mère, il n'y a pas souvent d'électricité et un fantôme rôde. Il s'agit de l'ange gardien de Francisco, un ancien leader de gang tué par balles. Pour confronter son père, violent et instable, Francisco aura besoin de l'aide de tous, morts et vivants...

Fable métaphorique ancrée dans la réalité, bien interprétée et appuyée par une superbe trame musicale, De la infancia se présente comme l'une des oeuvres les plus achevées de cette compétition imprévisible (avec Limbo, de la Norvégienne Maria Sodahl, et les deux longs métrages québécois). On regrettera que le fameux ange gardien de Francisco soit présenté de manière insistante (l'effet est bancal), même si d'autres séquences oniriques, mieux intégrées, procurent un supplément d'âme à ce film fort réussi.