Claude Chabrol, prolifique auteur d'un cinéma lancinant et ironique, portraitiste caustique de la bourgeoisie française, est mort dimanche à Paris. Le cinéaste de la Nouvelle Vague avait 80 ans.

Sa filmographie en dents de scie, faite de passages à vide et d'états de grâce, de navets assumés et de grands films qu'il sous-estimait, compte près d'une soixantaine de titres (pour le cinéma), du Beau Serge à Bellamy (son dernier film, tourné en 2009), en passant par Le boucher, La femme infidèle, Violette Nozière, La cérémonie et Merci pour le chocolat.

Ses polars élégants, teintés d'un humour noir, ont finement mis en évidence les travers de l'homme. Le style formel sobre et détaché du réalisateur semblait presque en contradiction avec les multiples apparitions médiatiques de ce bon vivant plein d'autodérision, qui ne craignait pas la fanfaronnade. «On peut très bien prendre les choses au sérieux sans les traiter avec sérieux», disait-il.

Il n'eut sans doute pas l'aura, ni l'impact, de ses plus célèbres compagnons de la Nouvelle Vague, Truffaut et Godard, mais Chabrol su confier avec maestria des rôles forts et troublants à de grandes actrices, évoquant les facettes les plus sombres de la nature humaine. Sondeur des tréfonds de l'âme, le sourire en coin, malicieux.

Sa deuxième épouse, l'actrice Stéphane Audran, fut la muse de La femme infidèle (1969), du Boucher (1970) et de Juste avant la nuit (1971). La grande Isabelle Huppert, celle de Violette Nozière (qui lui valu le Prix d'interprétation féminine à Cannes en 1978), d'Une affaire de femmes (1988), de Madame Bovary (1991), de La cérémonie (1995) - peut-être le plus grand film de Chabrol - ou encore de Merci pour le chocolat (2000).

«De film en film j'étais devenue une sorte de double de lui, de sa pensée, de ce qu'il avait envie d'exprimer, il ne me l'a jamais demandé plus clairement qu'en me redemandant à chaque fois de faire des films pour lui, a déclaré Isabelle Huppert à la radio de France-Info. Il m'a filmée un peu comme si j'étais sa fille, il ne m'a pas filmée comme un objet de désir, ce qui façonne parfois une relation entre un metteur en scène et son actrice.»

Né à Paris de parents pharmaciens le 24 juin 1930, Claude Chabrol passe son adolescence, pendant la Seconde Guerre mondiale, en Creuse, au centre de la France. Cinéphile boulimique, il s'adonne très jeune à sa passion, fondant un ciné-club dans sa ville de Sardent, en Creuse.

Ayant abandonné ses études de pharmacie et de droit - où il eut comme camarade de classe un certain Jean-Marie Le Pen -, il fréquente au début des années 50 à Paris le ciné-club du Quartier latin, véritable creuset de la Nouvelle Vague, où il rencontre la future bande des Cahiers du Cinéma (Rivette, Godard, Truffaut et Rohmer, le «grand frère», disparu plus tôt cette année) ainsi que Paul Guégauff, qui deviendra son scénariste.

Le jeune critique écrit à partir de novembre 1953 aux «Cahiers», où il réalise l'année suivante une grande entrevue avec Hitchcock, qu'il vénère et défend, à l'instar de Howard Hawks, contre le snobisme d'une certaine critique française. Il publie d'ailleurs, avec Eric Rohmer, un livre remarqué sur «le maître du suspense», en 1957.

Chabrol, qui a épousé une riche héritière, mène une vie bourgeoise, travaillant comme responsable du service de presse des studios Fox à Paris. Il est le premier de la bande des «jeunes-turcs» des Cahiers du cinéma à passer à la réalisation d'un long métrage, avec Le Beau Serge, en 1957. Il a alors 27 ans.

Tourné en Creuse avec Jean-Claude Brialy et Gérard Blain, le film est un succès public et critique (Prix Jean-Vigo et Grand Prix du Festival de Locarno en 1958). Avec Les cousins (Ours d'or du Festival de Berlin en 1959) et Les Quatre Cents Coups de Truffaut, Le Beau Serge lance officieusement la Nouvelle Vague.

C'est le début de la carrière florissante d'un artiste singulier et énigmatique, disparu dimanche, malgré ses 80 ans bien sonnés, dans la fleur de l'âge d'une oeuvre d'exception. Merci pour le cinéma, M. Chabrol.