La journaliste de CTV tenait à ce que Robert De Niro déclare en pleine conférence de presse que le Festival du film de Toronto était le «pluss meilleur festival au monde». Le micro tendu comme une mitraillette, elle a insisté. Parlez-nous de la dernière fois que vous êtes venu ici, M. De Niro.

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«Bien franchement, je ne m'en souviens plus», a répondu l'acteur, les traits tirés sous une épaisse barbe de vieillard.

«Oui, mais vous êtes ici aujourd'hui, vous avez vu comment ça se passe.

- Je suis là pour la journée, pour faire la promotion du film Stone, alors je n'ai pas vu grand-chose», a-t-il soupiré.

Une ultime et dernière tentative de la part de la journaliste. «Mais c'est un festival important, non?»

«Oui, bien sûr, a rétorqué De Niro. It's a great festival. C'est un festival formidable. Prochaine question.»

Cette petite scène résume bien les paradoxes d'un festival qui a fait sa réputation en attirant les plus grandes stars d'Hollywood, lesquelles stars passent en coup de vent, répètent leur cassette comme des automates et ont généralement peu de choses à dire, sans doute parce que leur contrat de service après vente leur interdit de dire quoi que ce soit.

Cela dit, je comprenais la journaliste de CTV de tant insister pour obtenir les miettes d'un compliment de cet acteur mythique sur le retour d'âge. Moi aussi, si j'étais torontoise, je serais fière de ce rendez-vous incontournable qu'est devenu le TIFF. D'ailleurs, même si je suis montréalaise et jalouse, je n'ai pas le choix d'applaudir l'extraordinaire réussite du TIFF. Pas juste pour les vedettes blasées qui y paradent sur le tapis rouge sous l'oeil idolâtre du public, mais pour la qualité de la programmation, la richesse de l'offre, l'efficacité de l'organisation, la gentillesse presque suspecte de l'accueil, la frénésie des fêtes, le parfum enivrant de la cinéphilie qui flotte dans l'air et le poids de l'argent qui y est investi et dépensé. Difficile de trouver quoi que ce soit à redire contre ce qui est devenu le deuxième festival de cinéma en importance après Cannes.

Deuxième pour la plupart des gens. Pour ma part, avoir à choisir entre les deux festivals, je choisis sans hésiter Toronto. Je choisis Toronto mais en pleurant amèrement sur le sort des festivals de Montréal, aussi bien le FFM, où la cinéphilie a été remplacée par un parti pris récréotouristique, que le Festival du nouveau cinéma constamment aux prises avec un manque criant d'argent.

Au TIFF, l'argent n'est pas un problème. Vraiment pas. Contrairement aux mécènes montréalais (exception faite de Daniel Langlois) qui se cantonnent dans la musique classique ou les arts visuels, les mécènes de Toronto ont suffisamment d'argent pour donner aussi bien aux orchestres, aux musées qu'au septième art. Leur appui financier de 136 millions pour la construction de la Lightbox en est le symbole le plus éloquent. En voyant les sommes astronomiques consenties, on se demande: c'est quand la dernière fois que l'élite économique montréalaise a mis autant de millions sur la table pour un projet culturel? Autant dire jamais.

En même temps, tout cet argent qui pousse dans les arbres du mécénat torontois a une couleur, une orientation et, fatalement, un prix. Ce prix-là, c'est la création et la mise en valeur d'un cinéma canadien distinct qui demeure inexistant.

À Toronto, les gens du milieu du cinéma sont tellement occupés à organiser, à recevoir, à faire en sorte que le monde entier vienne travailler et faire des affaires chez eux qu'ils se sont cantonnés dans un seul rôle: celui d'hôtes perpétuels, toujours pourvoyeurs de contenants, jamais créateurs de contenu.

Ce n'est pas un hasard si le seul Oscar qui trône au pied de la Lightbox est celui remporté par un cinéaste québécois, Denys Arcand. Pas un hasard si les cinéastes canadiens qui ne sont pas partis à Hollywood se comptent sur les doigts de la main et encore. Pas un hasard que le directeur du TIFF soit à court de mots lorsqu'on lui demande à quoi ça sert de tenir le «pluss» meilleur festival de films au monde quand on est incapable de générer une masse critique de bons films canadiens.

À cette question d'un million, la réponse de Piers Handling, directeur du TIFF, est toujours la même: «Nous avons plusieurs grands cinéastes qui font carrière à Hollywood ou ailleurs. Nous devons nous en réjouir plutôt que de les juger. L'important, c'est qu'ils rayonnent et qu'ils fassent leur chemin dans le cinéma».

Cette réponse polie et prônant l'ouverture est en réalité l'aveu d'une abdication face au concept même de la culture comme miroir et outil nécessaire à l'épanouissement d'un peuple.

La proximité écrasante de la culture américaine y est pour beaucoup. Mais les Canadiens anglais ne sont pas les seuls à vivre dans l'ombre du géant américain. Sauf qu'au lieu de se battre en tentant de produire un cinéma différent comme le font les Britanniques et les Australiens, l'élite culturelle canadienne a démissionné. Puis, pour se venger et prouver son existence malgré tout, elle a mis sur pied le plus meilleur festival de films au monde. Elle a merveilleusement réussi, mais à quel prix?