C'est l'automne: place aux choses sérieuses. Le cinéphile a, plus que quiconque, de bonnes raisons de ne pas regretter trop longtemps l'été. D'autant plus que la saison du cinéma québécois s'annonce exceptionnelle.

La rentrée a commencé en force avec la sortie, il y a une quinzaine, de Tromper le silence de Julie Hivon, un beau film minimaliste, de tensions et d'atmosphères. Un intrigant pas de deux mettant en vedette Maxime Dumontier et Suzanne Clément.

À peine remis de l'électrochoc d'Incendies, en salle depuis hier, une autre oeuvre brutale et bouleversante nous attend vendredi prochain: À l'origine d'un cri de Robin Aubert, avec sa première séquence, insoutenable - et pourtant on ne peut plus sobre -, sur le viol d'un enfant.

Un roadmovie poétique, à la fois onirique et réaliste, sur la quête d'identité de trois générations d'hommes. Un film d'urgence et de fulgurances, empreint de nostalgie et d'amour, d'une idée de la famille, de la campagne aussi, héritage que Robin Aubert porte visiblement avec fierté.

L'époque est plus ou moins bien définie, les idées foisonnent de partout, parfois à l'excès, mais le nouveau long métrage du cinéaste de Saints-Martyrs-des-Damnés est une véritable réussite. Les personnages sont forts, le jeu des acteurs à l'avenant: Patrick Hivon en jeune rebelle impulsif et énigmatique, écorché par la vie; Jean Lapointe, en vieux malcommode qui en a vu d'autres; Michel Barrette, inconsolable après la mort de sa femme, qu'il déterre avant de prendre la fuite (entre autres actes sordides de désespoir).

J'ai pensé spontanément au cinéma de Forcieret à Route 132 de Louis Bélanger, autre roadmovie identitaire sur la déroute de l'homme, qui doit prendre l'affiche le 6 octobre. Route 132 est un film de subtilités, touchant, qui tarde un peu à prendre son envol dramatique en raison de multiples ruptures de ton, mais qui se termine en crescendo.

Coscénarisé par Louis Bélanger et Alexis Martin dans la veine intimiste de Gaz Bar Blues, le film est porté par une mise en scène soignée, des images somptueuses du Bas-du-Fleuve et le jeu sobre et émouvant d'une distribution de grand talent. François Papineau est particulièrement remarquable dans le rôle d'un père qui fuit Montréal, et sa vie, après le décès de son fils.

On attend par ailleurs le 29 octobre les nouveaux films de Podz (10 1/2) et de François Delisle (2 fois une femme), ainsi que Curling, de Denis Côté (12 novembre), présenté au Festival de Toronto ces derniers jours. Du bien bon cinéma en perspective.

Cendres de guerre

Incendies de Denis Villeneuve est sans doute «l'événement» cinéma de la rentrée, et pour cause. En parfait complément, Radio-Canada présente ce soir, à 22h30, Se souvenir des cendres - regards sur Incendies, un documentaire d'Anaïs Barbeau-Lavalette (Le ring) qui est bien plus qu'un traditionnel making of promotionnel.

Se souvenir des cendres est un fascinant document sur l'exil, donnant la parole à des figurants et autres témoins du tournage, qui ont vécu la guerre. Une incursion hors champ, donnant la pleine mesure de la résonance que peut avoir une oeuvre de fiction pour ceux qui y participent.

Davantage que les entretiens avec les artisans (intercalés de superbes images du film), ce sont les témoignages poignants de réfugiés irakiens, palestiniens ou libanais, sur le plateau de tournage jordanien d'Incendies, qui interpellent le plus le spectateur.

«Ces bruits-là sont vraiment ancrés dans notre mémoire. On a fui l'Irak. Notre corps s'en rappelle», racontent de jeunes figurantes, en regardant passer des chars d'assaut. «J'ai vécu cette scène-là en Irak. La même chose, exactement», dit une autre femme, pendant le tournage d'une séquence dans un poste frontière de fortune.

Une mère, dont les deux filles participent à la scène la plus bouleversante du film, un attentat contre un autobus rempli de musulmans par des milices chrétiennes, trouve un sens encore plus profond au tournage. «Je veux qu'elles soient fortes. Qu'elles sachent ce qui nous est arrivé en Irak, dit-elle à propos de ses filles. Je n'ai pas quitté notre pays pour rien. Je suis partie parce que j'avais peur pour elles.»

Elle marque une pause, émue: «Ils ont tué mon fils, dit-elle en parlant des miliciens. Il était parti chercher du pain à la boulangerie. Ils l'ont tué.»

Le regard que pose sur ces écorchés de la guerre Anaïs Barbeau-Lavalette est fin, subtil et d'une grande éloquence. Comme cette scène où de jeunes garçons tentent d'expliquer la genèse de la guerre en Irak en évoquant «Saddam qui?» et «Oussama comment?».

«Les enfants se sont habitués. Ça fait longtemps qu'ils vivent avec la guerre», dit un homme. «Ils jouent au soldat et au terroriste, ajoute une femme. Ce sont leurs jeux maintenant. D'où voulez-vous qu'ils apprennent la paix? Même si on essaie de leur raconter, ils croient qu'on invente, qu'on se moque d'eux. Il ne savent pas ce que c'est, la paix.»

Se souvenir des cendres sera aussi présenté au Festival du nouveau cinéma le 21 octobre à 19h, et sera suivi d'une discussion.