Joaquin Phoenix mérite un Oscar. Pour le rôle de sa vie. Celui, précisément, de sa fausse vie, mise en scène par son beau-frère, Casey Affleck.

Lorsqu'il a annoncé, il y a deux ans, qu'il renonçait à sa carrière d'acteur pour se consacrer au hip-hop, on a cru que Phoenix, la barbe hirsute, les cheveux croûtés, la silhouette en pleine expansion, avait perdu la tête. Sinon qu'il se payait formidablement la nôtre.

La rumeur d'un canular a été amplifiée par le projet de Casey Affleck de documenter le virage à 180 degrés de son ami comédien, révélé par To Die For de Gus Van Sant, puis devenu un incontournable du paysage hollywoodien depuis son rôle de Johnny Cash dans Walk the Line de James Mangold.

Ce documentaire, I'm Still Here, doit prendre l'affiche vendredi au Québec. Il a été présenté récemment en primeur dans les festivals de Venise et de Toronto, à un public dubitatif qui s'est demandé s'il assistait à un suicide professionnel... ou s'il faisait les frais d'un canular élaboré pendant deux ans aux dépens de médias obsédés par le vedettariat.

Les pistes sont restées brouillées jusqu'à ce que Casey Affleck, en entrevue au New York Times jeudi dernier, ne révèle enfin que son film est bel et bien un «faux documentaire». Il faut dire que Joaquin Phoenix joue son propre rôle avec tellement d'intensité, de subtilité et de «vérité» qu'il a fini par convaincre une majorité de gens de l'authenticité de sa démarche (et, du reste, de sa déchéance, personnelle et professionnelle, physique et psychologique).

I'm Still Here est la fausse chronique de la déliquescence d'un artiste torturé, au sommet de sa gloire, imbu de lui-même, mais doutant de son parcours, frustré de n'être que le matériau malléable de metteurs en scène successifs. «J'ai davantage à offrir», dit-il d'un ton énervé, les épaules voûtées, le corps prostré. On a envie de le croire sur parole.

Comme on l'a cru en février 2009, lorsqu'il a accordé une célèbre entrevue à David Letterman, le regard éteint, le vague à l'âme, l'air de n'avoir rien à cirer de quiconque ni de quoi que ce soit. «Joaquin, je suis désolé que vous n'ayez pu être des nôtres ce soir», lui avait lancé l'animateur.

Letterman était-il de mèche? Casey Affleck, qui a longtemps prétendu que son documentaire était authentique, jure que non. On le saura peut-être demain soir, alors que Phoenix, que l'on dit aminci, coiffé, douché et rasé de près, sera au Late Show, à CBS, pour boucler la boucle de cette intrigante aventure.

Vrai ou faux, I'm Still Here? Le mystère aura longtemps plané, même si plusieurs indices ont mis la puce à l'oreille de ceux qui ont vu le film. Le nom de Phoenix au générique (pour les textes et la production), celui du père de Casey Affleck dans le «rôle» de celui de Joaquin, et quelques «performances» appuyées - notamment d'un assistant qui chie littéralement au visage de son patron en déroute - sont autant de clins d'oeil qui permettaient de croire que tout avait été arrangé avec le gars des vues. Tout a en effet été fabriqué, jusqu'aux images d'archives de jeunesse au Panama...

Il reste que le jeu hyperréaliste de Joaquin Phoenix, rappeur médiocre sans l'ombre d'un «flow» rêvant de réaliser un disque avec P. Diddy, est éblouissant. Les escortes, la coke, les névroses, une bagarre avec un spectateur, largement médiatisée, lors d'un premier concert à Miami: tout est dépeint avec une pathétique authenticité. Le résultat est tellement triste que l'on n'ose pas rire, même en sachant que tout est faux.

Affiché clairement comme canular, I'm Still Here est forcément moins intéressant. Le rapport au film n'est plus le même. On se demande d'ailleurs pourquoi Affleck et Phoenix n'ont pas joué le jeu plus longtemps. Tant qu'à avoir alimenté le doute pendant deux ans, aussi bien tenir jusqu'au bout. Les critiques assassines et le box-office famélique du premier week-end, aux États-Unis, ont peut-être eu raison des nerfs des deux amis. Qui sait?

Au final, cette expérience artistique de «Gonzo filmmaking» (selon Casey Affleck) aura-t-elle servi à quelque chose? I'm Still Here, avec ses images bancales et sa trame sonore déficiente, est loin d'être un grand film, faux ou pas.

Joaquin Phoenix, 35 ans, aura sans doute du mal à complètement se défaire de l'image, qu'il a bien voulu projeter, d'un enfant gâté, abject et odieux, condescendant et fêlé, à l'ego surdimensionné. A-t-il perdu deux ans de sa vie? C'est bien possible. Peut-être aussi qu'on dira, à terme, que cet intermède expérimental en aura valu la peine. Surtout si Phoenix remporte un Oscar bien mérité...