Il y a un film québécois, prenant l'affiche dans quelques jours, que j'aurais bien de la difficulté à vous recommander. Une sorte de croisement entre Teen Wolf, Nouvelle-France et Faut placer pépère. On en parle en des termes peu flatteurs, ici et là sur le web. J'aimerais bien vous en dire plus, mais on me l'interdit.

La semaine dernière, dans cette même chronique, je soulignais la qualité exceptionnelle des films québécois de l'automne: Tromper le silence, Incendies, À l'origine d'un cri, Route 132. Avec d'autres titres tels Les amours imaginaires et Les sept jours du talion, le jury des prix Jutra aura l'embarras du choix à la fin de l'année.

En revanche, d'autres films se retrouveront inévitablement parmi les finalistes d'une remise de prix un peu moins glorieuse (qui rime avec «pléthore»). C'est la loi de la moyenne. Chaque film québécois ne peut avoir la force de frappe d'Incendies ou d'À l'origine d'un cri. Certains, à mon sens, ne valent pas le déplacement, le prix d'entrée, le salaire de la gardienne, le précieux vendredi soir. Je considère que c'est mon devoir de vous en faire part. Libre à vous de vous fier ou pas à mes conseils.

Mes conseils devront attendre. Toute une industrie, celle du cinéma, préfère que je garde mes avis (défavorables, s'entend) pour moi-même. Surtout à quelques jours de la sortie d'un film québécois. L'occasion s'y prête: parlons «embargo», le terme qui désigne, dans le jargon de mon métier, l'imposition d'un bâillon aux critiques avant la sortie d'un film.

Depuis plus de 10 ans que je suis critique de cinéma, le phénomène de l'«embargo critique», emprunté aux Américains, n'a cessé de prendre de l'ampleur chez nous. Les producteurs et distributeurs québécois aiment répéter qu'ils rendent service aux journalistes en leur permettant de voir des films à l'avance, afin qu'ils puissent interviewer acteurs et réalisateur en connaissance de cause. C'est la moindre des choses, il me semble.

Ce que les distributeurs ne précisent jamais, c'est que toutes ces entrevues publiées et diffusées simultanément ont pour eux le même effet qu'une publicité gratuite de plusieurs dizaines de milliers de dollars dans le journal, à la radio ou à la télévision. Même lorsque l'entrevue est remarquablement serrée et que les intervieweurs posent des questions embêtantes.

Les médias en font beaucoup, plus que jamais à vrai dire, pour la visibilité du cinéma québécois. Avec raison. On parlera d'un film à son stade embryonnaire (qu'il finisse par voir le jour ou pas), pendant sa recherche de financement (qu'il recevra ou pas), au tournage, lors de sa première, alouette. Il y a dix ans, il n'y avait jamais de «tapis rouge» pour une première de film québécois. Aujourd'hui, tout est prétexte à une soirée strass et paillettes, les films américains doublés par des «vedettes» québécoises comme les productions locales.

Les journalistes (j'en suis) participent, qu'ils le veuillent ou non, consciemment ou non, à la mise en marché des films. La marge de manoeuvre du critique se trouve dans son point de vue sur une oeuvre. Pour que ce point de vue ne fasse pas grincer la machine promotionnelle d'un film, distributeurs et producteurs font pression sur les médias pour que les reportages soient publiés le plus rapidement possible, et les critiques le lendemain de la sortie en salles, surtout lorsqu'ils appréhendent un mauvais accueil. (On ne m'a jamais reproché de dire du bien d'un film avant sa sortie en salles.)

Ainsi en va l'embargo critique, tacitement accepté par les médias québécois, qui fait en sorte que le film le plus attendu du moment, The Social Network de David Fincher, déjà critiqué à pleines pages dans le New York Times, les blogues, Twitter, Facebook et quoi encore, est officiellement «interdit» de critique dans les médias québécois jusqu'au 1er octobre. L'embargo est-il obsolète à l'ère du web 2.0.? Je ne fais que poser la question.

Les critiques de cinéma ne sont certes pas les «chiens de garde de la démocratie» que sont les journalistes d'enquête ou les journalistes politiques. Mais ils estiment avoir les mêmes responsabilités à l'égard de leurs lecteurs et de leurs auditeurs. Celle, notamment, de faire contrepoids aux campagnes publicitaires, parfois trompeuses, voulant faire passer un navet pour un chef-d'oeuvre.

Malheureusement, et l'embargo en est peut-être la plus évidente démonstration, l'industrie du cinéma réussit de plus en plus à imposer ses diktats aux médias québécois. Accepterait-on que des journalistes politiques «retiennent» régulièrement une nouvelle pendant une semaine pour satisfaire des partis politiques? J'exagère pour mieux illustrer mon propos...

Soutenue comme jamais par les médias québécois, l'industrie du cinéma québécois a fini par croire que les journalistes devaient «encourager» les films québécois (ou du moins «ne pas leur nuire»). C'est bien mal comprendre le rôle du critique. Le cinéma québécois, qui vit un âge d'or, mérite bien mieux que la complaisance attendue, l'indulgence complice et les applaudissements consensuels d'une presse qui serait asservie à ses desideratas.