«Pis? On a-tu des chances?» Parfois, un chroniqueur cinéma doit savoir attraper au vol les questions qu'on lui lance. Un peu comme s'il devait décoder le langage de la même manière que dans la pub d'un certain rénovateur dont le porte-parole a animé d'innombrables galas. À force de me faire poser la question, j'ai compris que le «pis?» faisait référence à la prochaine remise des Oscars. Le «on» est associé à Incendies, choisi par le comité canadien pour concourir dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère.

Le film de Denis Villeneuve, très réussi, ayant une forte résonance auprès des cinéphiles québécois, le phénomène d'identification est quasi viscéral. C'est «notre» film. Peut-être que le fait de vivre dans une société tricotée serré accentue-t-elle aussi ce sentiment d'appartenance. Tant dans notre regard que dans celui des autres. Je me rappellerai toujours ce collègue torontois qui était venu me féliciter avec chaleur et émotion en me serrant très fort après avoir vu Les invasions barbares. C'est gentil. Mais je n'y suis strictement pour rien.

Alors? Incendies a-t-il des chances réelles de récolter l'une des cinq nominations et d'être invité au grand bal hollywoodien? À ce stade-ci de la course, nul ne peut rien prédire. D'abord, on ferme l'appel de candidatures aujourd'hui même. La liste comportera quelques dizaines de titres, soumis par les différents comités nationaux. On annoncera d'abord les neuf films retenus en présélection le 18 janvier, et les cinq finalistes le 25. D'ici là, le processus sera long et compliqué.

Rappelons les règles régissant la catégorie du meilleur film en langue étrangère. Un pays, peu importe l'importance de sa cinématographie, ne peut soumettre qu'un seul film au comité de sélection de l'Académie. L'an dernier, 65 pays se sont pointés. Pour déterminer les cinq finalistes, l'on doit organiser des projections destinées à des membres bénévoles ayant accepté de faire partie du comité de sélection.

Bien que l'Académie refuse de dévoiler des statistiques, on estime à environ 500 le nombre de volontaires au début. Ceux-ci seraient répartis en groupes comptant plus d'une centaine d'académiciens chacun, dont la mission est de visionner une quinzaine ou une vingtaine de films. Chaque membre doit accorder à ces longs métrages une note allant de 1 à 10. Les cinq titres ayant amassé le plus de points sont retenus.

La sélection des films présentés aux différents groupes ne relèverait que du hasard. D'où des choix parfois étranges. Si, par exemple, un groupe tombe sur une sélection d'ensemble plus faible, les «meilleurs des moins bons» seront quand même bien notés. En revanche, des films plus méritoires seront forcément cotés à la baisse s'ils se retrouvent dans un groupe plus fort. Voilà comment on explique la sélection, parfois, de films sortis de nulle part parmi les finalistes. Ceux-ci ont probablement obtenu un haut score dans des sélections plus obscures, alors que des oeuvres plus réputées, projetées dans un contingent très fort, peuvent mordre la poussière de leur côté.

Rien n'est donc établi. Incendies a tout de même l'avantage d'être soutenu par un distributeur américain important, Sony Pictures Classics, qu'il partage toutefois avec un autre sérieux candidat, le remarquable film français Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois. Biutiful, du Mexicain Alejandro Gonzalez Inarritu, devrait en principe faire aussi partie des valeurs sûres. À la question «Pis? On a-tu des chances?» j'aurais tendance à répondre qu'à ce stade-ci, tous les espoirs sont permis. Mais rien n'est encore gagné.

Mort d'une légende

Tony Curtis a succombé mercredi à un arrêt cardiaque à l'âge de 85 ans. Né Bernard Schwartz dans le quartier du Bronx à New York en 1925, Tony Curtis était le fils de juifs hongrois arrivés aux États-Unis après la Première Guerre mondiale.

J'ai été très ému lors de sa visite il y a deux ans. Pas tant de voir cet acteur de légende diminué par la vieillesse et la maladie, même s'il y avait ça aussi, mais plutôt de constater à quel point il rajeunissait à vue d'oeil au contact d'un public qui lui témoignait une vive affection. Tony Curtis s'était déplacé à Montréal, à l'invitation du FFM, pour accompagner la présentation d'un documentaire sur le refuge que dirige sa femme Jill pour des chevaux malades condamnés à l'abattoir.

Il aura pourtant suffi d'installer une table, un micro, et d'inviter les gens à lui poser des questions pour que la bête de cinéma ressorte et retrouve ses vieux réflexes. Pendant une heure, l'acteur avait retrouvé son âme de séducteur impénitent en évoquant ses souvenirs sans se faire prier, puisant à même l'âge d'or du cinéma hollywoodien: Some Like It Hot (Billy Wilder, 1959), Spartacus (Stanley Kubrick, 1960), The Great Race (Blake Edwards, 1965), The Boston Strangler (Richard Fleischer, 1968) et tant d'autres. Des partenaires de légende aussi, parmi lesquels Marilyn Monroe, avec qui il a vécu pendant six mois.

Puisque le cinéma ne faisait plus appel à lui depuis 30 ans, Tony Curtis s'était tourné vers la peinture. «Attendre la sonnerie du téléphone n'est pas un métier, avait-il expliqué. Dès qu'il y a eu moins de propositions, je me suis mis à peindre davantage. J'ai aussi écrit mon autobiographie. Ce n'est pas parce que je ne tourne plus au cinéma que la vie s'arrête pour autant. Surtout qu'on ne m'offre plus que des rôles de vieux bonshommes! Ce n'est pas pour moi. Je jouerais une vieille femme sans aucun problème, mais pas un vieux!»

Personne n'est parfait, comme disait l'autre...

Voyez notre galerie de photos sur la carrière de Tony Curtis