Un film ne peut pas sauver le monde et encore moins l'élection de mi-mandat d'un président. Reste que certaines sorties de films semblent un brin arrangées avec le gars des vues, surtout un gars des vues républicain, membre clandestin du Tea Party et admirateur secret de Sarah Palin.

Prenez Fair Game, que je traduirais librement et avec une pointe d'ironie par «De bonne guerre». Le film raconte la révoltante et authentique histoire de Valerie Plame, cette agente secrète de la CIA, dont l'identité a été coulée par la Maison-Blanche par pure vengeance après la publication d'un texte de son mari, l'ex-diplomate Joe Wilson, mettant en doute l'existence d'armes de destruction massive en Irak. Non seulement cette Jane Bond a perdu sa job, sa carrière et sa raison d'être, mais son exposition publique par une Maison-Blanche prête à tout pour partir en guerre a sans doute provoqué la mort de centaines de ses sources sur le terrain.

Le film prend l'affiche chez nous et aux États-Unis vendredi, soit trois jours après l'élection de mi-mandat. Est-ce que sa sortie devancée d'une semaine ou deux aurait changé quoi que ce soit aux résultats d'hier soir? J'en doute, mais disons que ces temps-ci n'importe quoi pour freiner la remontée des républicains aurait été bienvenu.

Comme tout le monde, j'ai suivi l'affaire Plame-Wilson dans les journaux en 2004. Lu le court portrait du couple dans le Vanity Fair où ils posaient dans une rutilante décapotable tout droit sortie du garage de l'agent 007. À la télé, j'ai vu la blonde Valerie Plame, vêtue d'un tailleur grège, témoigner devant un comité du gouvernement qui faisait enquête sur cette fuite criminelle d'ailleurs considérée comme un crime fédéral. J'ai applaudi quand «Scooter» Libby, le chef de cabinet du vice-président Cheney, a finalement été accusé de la fuite même si, selon le Washington Post, l'auteur de la fuite serait le secrétaire d'État Richard L. Armitage. Libby a été condamné à payer une amende de 250 000 $ et à passer 30 mois en prison, peine qui a rapidement été transformée en travail communautaire. J'ai prié pour que Karl Rove, le grand manitou de l'administration Bush, soit accusé lui aussi. Mais après quatre comparutions devant un «grand jury», il a malheureusement été lavé de tout soupçon et sévit depuis sur les ondes de Fox News à titre de commentateur. C'est tout dire.

Appel aux émotions

Même si je n'ai pas lu les briques que Joe Wilson et Valerie Plame ont chacun pondues par la suite, je croyais que cette affaire n'avait plus aucun secret pour moi, médiatiquement du moins. Mais un film n'est pas un article de journal ni un reportage à la télé. Un film est un objet puissant et engageant qui fait d'abord et avant tout appel aux émotions. Et dans ce cas précis, les émotions se déclinent sur le mode de la colère, de l'indignation et de la révolte. Le réalisateur Doug Liman a confié à ma collègue Sonia Sarfati qu'il a voulu raconter cette histoire parce qu'elle l'avait fait tout simplement frémir. Frémir est le mot approprié.

Pendant près de deux heures, Fair Game nous fait frémir et fulminer de rage devant l'abus de pouvoir et l'indifférence d'une administration qui ne se soucie que de ses intérêts et qui n'a pas le moindre respect pour la vie humaine. Le film nous rappelle pourquoi il y a deux ans, les Américains ont élu Barack Obama. Pourquoi ils n'en pouvaient plus de George Bush, de sa bande de mercenaires, de leurs mensonges, de leur manipulation éhontée de l'opinion publique, de leur manie de détourner les faits pour arriver à leurs fins et de leur appétit guerrier qui s'est soldé par une guerre désastreuse et inutile.

Un film ne change pas le monde ni le vent quand celui-ci se met à souffler dans une nouvelle direction. Un film ne peut rien faire contre une crise économique, mais au moins il peut rappeler à notre mémoire quelques faits que le bulldozer de l'actualité a enterrés.

Contrairement à Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook qui a désavoué le film sur son histoire, Valerie et son mari approuvent complètement Fair Game. On les a vus main dans la main et rayonnants sur le tapis rouge à Cannes lors de sa première mondiale. On les reverra sans doute aux Oscars. Peut-être même que Naomi Watts remportera un prix d'interprétation pour la finesse poignante de son jeu. On lui souhaite. Mais ce qu'on souhaite par-dessus tout, c'est qu'un nombre important d'Américains voient ce film. Et que dans deux ans, ils reportent au pouvoir Barack Obama.