Chaque année, le scénario se répète. À l'approche du dévoilement des finalistes aux Oscars (mardi, 8 h 30) et au cours des semaines suivantes, se met en branle une campagne de dénigrement, prétexte à autant de bassesses qu'une campagne électorale du Parti conservateur.

L'an dernier à pareille date, l'éventuel lauréat de l'Oscar du meilleur film, The Hurt Locker de Kathryn Bigelow, était attaqué de toutes parts. Certains lui reprochaient de caricaturer le travail des démineurs américains en Irak; d'autres - un militaire de haut rang en particulier - de s'inspirer trop fidèlement de la réalité. Tout et son contraire.

L'objectif recherché, sinon par les détracteurs, du moins par ceux relayant ces doléances aux médias: semer le doute dans l'esprit des électeurs de l'Académie des arts et des sciences du cinéma. Et si ce film que vous vous apprêtez à plébisciter n'était pas aussi admirable que vous le pensiez?

Cette année, c'est The King's Speech de Tom Hooper, mettant en vedette Colin Firth dans le rôle du roi bègue George VI (grand favori pour l'obtention de l'Oscar du meilleur acteur), qui semble faire les frais d'une telle charge.

Un influent blogueur hollywoodien, Scott Feinberg, a publié cette semaine sur le web le contenu d'un courriel anonyme, provenant d'un soi-disant «membre de l'Académie», laissant entendre que plusieurs ne voteraient pas pour Colin Firth parce que The King's Speech aurait omis de faire état des prétendues inclinations antisémites du père d'Élisabeth II.

Les accusations d'antisémitisme contre l'ancien monarque britannique ne font pas l'unanimité entre historiens. Son frère et prédécesseur Édouard VIII a eu des sympathies évidentes, avant la Seconde Guerre mondiale, avec Hitler et ses idées. Et certains documents tendent à démontrer que George VI se serait aussi entendu avec le gouvernement allemand pour empêcher la migration de Juifs européens en Palestine, alors sous protectorat britannique, à la fin des années 30.

Comment cela entache-t-il l'excellente performance de Colin Firth dans un film de 2010 scénarisé par David Seidler, dont les grands-parents juifs ont été des victimes de la Shoah? Allez savoir.

Ce n'est pas la première fois que l'on exploite le thème sensible de l'antisémitisme pour essayer de discréditer un film oscarisable. En 2002, certains avaient joué cette même carte pour tenter de faire dérailler la campagne de A Beautiful Mind de Ron Howard, à propos du scientifique schizophrène John Nash, en faisant circuler, peu avant la fin du scrutin des Academy Awards, des propos antisémites que le Prix Nobel aurait tenus dans sa jeunesse.

Ce phénomène de dénigrement ciblé, en filigrane des campagnes de promotion de candidats potentiels aux Oscars, n'est pas nouveau. Mais il a pris une ampleur insoupçonnée depuis une dizaine d'années. Ça joue dur entre grosses légumes à Hollywood, par l'intermédiaire d'agents de relations publiques souvent prêts à relayer des informations dommageables pour leurs concurrents, à quelques semaines de la grande soirée strass et paillettes du cinéma américain.

La multiplication des blogues traitant de cinéma et de stars hollywoodiennes, pas toujours de la plus grande rigueur intellectuelle, a certainement nourri cette dérive, qui consiste à confondre considérations cinématographiques et questions d'éthique et d'ordre moral.

C'est ainsi qu'en 2005, une association américaine de victimes de lésions de la colonne vertébrale (la National Spinal Cord Injury Association), soutenue par des blogueurs et commentateurs de droite (Rush Limbaugh notamment), a mené campagne pour dénigrer Million Dollar Baby de Clint Eastwood, qui, selon elle, incitait les handicapés au suicide (un entraîneur y aide une ex-boxeuse devenue paraplégique à mourir). Évidemment, le mouvement s'est mobilisé au moment où le film d'Eastwood a été nommé sept fois aux Oscars...

En 2009, à la même période, le favori des Oscars, Slumdog Millionaire, a lui aussi été attaqué publiquement pour le traitement de ses jeunes acteurs, que l'on disait sous-payés, et pour le peu de soutien apporté par l'équipe de production, selon les rumeurs, aux habitants des bidonvilles de Bombay, où a eu lieu le tournage. On a fait peu de cas, en revanche, des fonds en fiducie créés par le cinéaste Danny Boyle pour les acteurs du film.

S'il existe une manière «classique» de tenter de discréditer un candidat aux Oscars, c'est de mettre en doute la véracité des faits qui y sont rapportés. The Hurricane, de Norman Jewison, et en particulier l'acteur Denzel Washington ont, selon toute vraisemblance, été écartés de la course aux Oscars, en 2000, parce que certains avaient mis en doute l'authenticité du récit biographique de l'ex-boxeur et militant Ruben Carter. Plusieurs autres (Saving Private Ryan de Steven Spielberg) ont subi le même sort.

La bonne nouvelle, c'est que, la plupart du temps, les campagnes de dénigrement ne sont pas efficaces. A Beautiful Mind, Million Dollar Baby, Slumdog Millionaire et The Hurt Locker, malgré leurs détracteurs, ont tous remporté l'Oscar du meilleur film.