La situation précaire du documentaire inquiète les cinéastes. Et c'est de la télévision, historiquement son plus grand champion, que vient la menace.

Des oeuvres de Pierre Perrault et Gilles Groulx à celles de Luc Côté et Patricio Henriquez, le long métrage documentaire occupe une place de choix dans l'histoire de notre cinématographie. Mais certains craignent que ce ne soit bientôt, justement, que de l'histoire ancienne.

La télévision, pierre angulaire du financement du documentaire au Québec, se désintéresse du long métrage documentaire. Les diffuseurs privilégient désormais la «série documentaire» (Krach à Radio-Canada, par exemple) au «documentaire unique». Une série de plusieurs épisodes, plaident-ils, est susceptible d'intéresser un plus vaste public qu'un seul long métrage, sans compter les économies d'échelle réalisées dans la promotion, la mise sur pied d'un volet web, etc.

La grande majorité des télédiffuseurs ont l'obligation de diffuser des documentaires à heures de grande écoute (le nombre d'heures varie d'une chaîne à une autre). Mais les règles floues du nouveau Fonds des médias, faisant du documentaire l'étiquette fourre-tout par excellence, ouvrent les portes à toutes les dérives.

Il faut voir ce qui passe désormais à la télévision pour du «documentaire». De toutes les hybridations possibles découlant de la téléréalité (les fameux docuréalités de type Quand passe la cigogne à Canal Vie) aux séries sensationnalistes de Canal D («D», on le rappelle, signifie «documentaire»: Fantômes chez les stars, Images-chocs, Enfants médiums, etc.).

Au menu de C'est incroyable! (une autre «série documentaire» de Canal D) cette semaine: «Des policiers procèdent à l'arrestation d'une femme sous l'empire de l'alcool; et les gardes de sécurité d'un aéroport découvrent une agente de bord en état d'ébriété.» Incroyable, en effet.

On ne parle plus de détournement de sens. On parle de vol d'identité. Heureusement que Canal D, dont la programmation est faite à 96 % de «documentaires», se rattrape en diffusant, le dimanche soir, dans le cadre de l'émission Docu-D, des films dignes de ce nom (Vous n'aimez pas la vérité - quatre jours à Guantánamo, récemment) et en contribuant au financement du documentaire québécois.

Si la plupart des télédiffuseurs respectent leur obligation de diffuser des documentaires, tous imposent des formats stricts (52 minutes pour un long métrage, peu importe sa longueur originale) et, de plus en plus, des sujets à leur image. Le public touché est beaucoup plus vaste qu'au cinéma, mais ces restrictions limitent, forcément, l'art qu'est aussi le documentaire. Demanderait-on à un réalisateur de charcuter de 43 minutes son long métrage de fiction de 95 minutes?

C'est ainsi que TVA et V, qui ne diffusent que deux ou trois documentaires par année (contre une vingtaine à Radio-Canada), se contentent d'ordinaire de sujets très populaires (Nathalie Simard vue par Claude Charron, à TVA) ou se rapprochant de plus en plus du reportage journalistique.

Télé-Québec et Radio-Canada diffusent de leur propre aveu moins de documentaires qu'il y a 10 ans, pour des questions, essentiellement, de baisse de rentabilité et de popularité. Oui, la nuance est de plus en plus ténue entre les chaînes publiques et privées...

Quel avenir, dans les circonstances, pour le long métrage documentaire? Les documentaristes sont inquiets, à juste titre. «Les diffuseurs ont le gros bout du bâton. S'ils n'avaient pas autant de pouvoir, ce serait moins problématique», m'expliquait hier un cinéaste, qui préfère conserver l'anonymat.

Les diffuseurs, en effet, font la pluie et le beau temps en matière de financement du documentaire. Sans une promesse de diffusion d'une chaîne de télévision, à moins de passer par une multitude de circuits indépendants, il est presque inutile d'espérer obtenir du financement de la SODEC ou de Téléfilm Canada.

L'impact négatif des nouvelles règles de financement commence à peine à se faire sentir, mais les problèmes qui y sont liés se profilent depuis deux ans environ. En plus de voir leurs tournages et leurs budgets de production réduits au strict minimum, les documentaristes craignent que certaines dispositions du Fonds des médias soient interprétées de manière à favoriser la production interne chez les diffuseurs.

Mais ce qui est particulièrement menacé, à terme, c'est la diffusion en salle de longs métrages documentaires. D'autant plus que les lieux de diffusion se font de plus en plus rares. Moins de télédiffusion, moins de financement, moins de projections en salle. Un véritable cercle vicieux.

«Il y en a encore qui y croient et qui font des films, me confie un documentariste. Mais à quelles conditions? Aujourd'hui plus que jamais, faire du documentaire, c'est comme un acte de foi.» En effet. Amen.