Dans l’avion qui me ramenait à Montréal au printemps 2004, je me suis promis de ne pas retourner aux Oscars pendant au moins 10 ans. Peut-être même jamais. À quoi bon? Denys Arcand venait de remporter l’Oscar du meilleur film étranger avec Les invasions barbares. Il ne prévoyait pas tourner de nouveau film avant longtemps.

Les chances qu’un autre cinéaste québécois se retrouve dans la course l’année ou les années suivantes étaient nulles. Ou du moins aussi fortes que pour la Grèce, qui attendait une nouvelle nomination depuis 1977. Bref, après avoir goûté au parfum enivrant de la victoire, même une victoire par procuration, je ne voyais vraiment pas l’intérêt de retourner là où ma culture, ma société, ma cinématographie allaient être à nouveau systématiquement ignorés pendant des années, sinon des siècles.

Évidemment, je n’ai pas tenu ma promesse très longtemps. Dès 2007, j’étais de retour sur Hollywood Boulevard, mais sans mon équipe (au sens sportif et cinématographique) ni aucun membre de la famille québécoise. Il y avait bien la cinéaste Deepa Metha et son film Water, en nomination dans la catégorie du meilleur film étranger. Mais Deepa est une Indienne de Toronto. Son film à moitié en hindi portait sur les conditions de vie des veuves dans l’Inde coloniale des années 30. Nous étions loin du lac Memphrémagog et des dérives du système de santé québécois. Loin de chez nous, quoi.

À l’époque, j’étais convaincue que l’Oscar de Denys Arcand était un accident. Pas parce que le film ne méritait pas sa petite statuette. Le film méritait amplement cet honneur et tous les autres. Accident au sens que c’était la première fois que l’Académie daignait récompenser un cinéaste québécois, qu’elle avait fait preuve de sa bonne foi, mais que c’était la première et la dernière fois.

Vous connaissez l’adage, une fois n’est pas coutume? L’Académie, elle, avais-je l’impression, en avait fait son credo. Et si jamais, par le plus grand des miracles, un cinéaste québécois devait à nouveau se retrouver en lice pour le meilleur film étranger, ça serait, à coup sûr, Denys Arcand. Qui d’autre?

Autant dire que je n’ai jamais fait confiance à l’impartialité des membres de l’Académie et encore moins aux 292 réalisateurs qui ont le droit de voter pour le meilleur film étranger. Mais la nomination de Denis Villeneuve a bousculé mes préjugés et me fait l’effet aujourd’hui d’une fenêtre qui s’ouvre et par laquelle le vent frais d’un changement peut s’engouffrer.

Quand on pense qu’il y a seulement 25 ans, pas un cinéaste québécois sain d’esprit n’aurait osé rêver à une nomination aux Oscars, on se dit qu’on revient de loin. À cet égard, Le déclin de l’empire américain a fait tomber le premier et le plus important mur. Puis la victoire des Invasions barbares, après la nomination de Jésus de Montréal, a cimenté la notion que même si le cinéma québécois n’existait pas à part entière aux yeux d’Hollywood, il y avait au moins un cinéaste de chez nous dont Hollywood reconnaissait le mérite et le talent.

Avec la nomination de Denis Villeneuve et d’Incendies, le cinéma québécois vient d’entrer de plain-pied dans l’âge adulte. Une fois n’est peut-être pas coutume, mais à partir de quatre fois, disons que la coutume est en train de sérieusement s’installer. Cela ne veut pas dire que la partie est gagnée pour autant ni qu’Incendies est assuré de remporter le deuxième Oscar dans l’histoire du cinéma québécois. Personnellement, je crois qu’il a autant de chances que ses deux plus sérieux rivaux, Biutiful d’Alejandro González Inárritu et In a Better World de Susan Bier. Mais ces messieurs de l’Académie sont tellement imprévisibles, leurs goûts et leurs attentes si difficiles à saisir, que ce que je crois ne fera pas une grande différence sur l’issue du vote.

Chose certaine, dans l’avion qui me ramenait hier à Hollywood, je n’avais pas peur d’être déçue. Peu importe le sort que connaîtra Incendies, demain soir, je sais que notre équipe joue de mieux en mieux. Si on ne gagne pas cette fois, ce n’est que partie remise.