Au lendemain de la soirée des Oscars, où The King's Speech a été couronné, les critiques américains ont pour la plupart été très virulents. Ce n'est pas tant la teneur du palmarès qui a soulevé leur ire que la qualité du spectacle et de l'animation. Désespérant disaient les uns; raté renchérissaient les autres. Et trop long reconnaissaient-ils unanimement.

Si Anne Hathaway a quand même obtenu quelques points grâce à sa vivacité, James Franco n'a pas convaincu. La performance lymphatique de l'acteur a même laissé croire à certains que ce dernier préparait plutôt une audition en vue d'un éventuel remake de Dazed and Confused. Selon certains observateurs, cette performance serait à classer parmi les pires de l'histoire, même avant celle de David Letterman, dont l'unique tour de piste aux Oscars en 1995 («Oprah, Uma; Uma, Oprah») fut aussi décrié.

«Ne soyez pas surpris si cette animation est désormais mentionnée du même souffle que les désastres immortels des Oscars comme Rob Lowe dansant avec Blanche-Neige, ou ce numéro musical mettant en vedette Telly Savalas, Terri Garr et Pat Morita!», d'écrire Alonso Duralde de Moviefone.

Faire appel à deux jeunes acteurs sans expérience pour animer le plus prestigieux gala du monde était un pari risqué, c'est entendu. La volonté de rajeunir la formule et d'attirer un public plus «jeune» et plus «hip» aurait sans doute été saluée comme un coup de génie si le résultat avait été probant. Ce fut loin d'être le cas. Les cotes d'écoute ont chuté de 9% cette année. Pire: selon ce que rapportait le Hollywood Reporter hier, l'âge moyen du téléspectateur en poste devant son écran dimanche - 38 millions de personnes aux États-Unis quand même - était de... 50,6 ans! Pas tout à fait ce qu'on appelle une percée auprès des nouvelles générations...

Plus d'un facteur

Il y a bien d'autres facteurs qu'une animation faiblarde pour expliquer la sclérose d'un spectacle qui n'a duré «que» 3h15, soit, ne l'oublions pas, 68 minutes de moins qu'en 2002...

Il y a d'abord la multiplication des récompenses attribuées par les différentes associations professionnelles. Maintenant, le suspense est pratiquement nul quant à l'identité des gagnants. La liste des lauréats dans les catégories principales est en effet conforme - à très peu de choses près - à celle des associations.

Les membres de l'Académie ont ainsi plébiscité les récipiendaires du PGA Award (film), du DGA Award (réalisation), des SAG Awards (catégories d'interprétation), et du ASC Award (photo). Seule différence: la Writers Guild a décerné son prix à The Social Network pour le scénario adapté (les votants des Oscars l'ont fait aussi) mais a distingué Inception plutôt que The King's Speech pour le scénario original. Autrement dit, l'exercice des prédictions est devenu beaucoup moins amusant à faire tant les indices sont maintenant révélateurs.

Et puis, les discours de remerciement des lauréats étaient d'une platitude à mourir. Mis à part le désormais célèbre «It looked so fuckin easy» de Melissa Leo (censuré aux États-Unis, mais pas chez nous), aucune vedette n'a profité de sa tribune pour évoquer une autre réalité que celle dans laquelle évolue sa petite personne. Papa, maman, mon épouse que j'aime, mon chum sans qui je ne suis rien, les enfants, le chien, le chat, le poisson rouge; chacun sa petite bulle familiale, chacun son petit cocon.

On se tient maintenant loin des messages politiques, encore plus des scandales. Révolue l'époque où Vanessa Redgrave, Jane Fonda, Susan Sarandon, Sean Penn et les Michael Moore de ce monde tentaient de secouer un peu notre indolence collective. Même les animateurs les plus allumés du monde ne sauraient faire lever une cérémonie célébrant des lauréats beiges qui, en plus d'être non-politisés et non-engagés, sont à peu près aussi excitants qu'une pluie froide de février.

Depuis quelques années, l'utilisation croissante de pièces musicales déjà existantes dans les films a aussi un effet direct sur la qualité du spectacle des Oscars. À quand remonte la dernière chanson originale marquante tirée d'un long métrage? Le phénomène d'osmose entre les bandes originales et les palmarès étant maintenant chose du passé, les numéros musicaux vus aux Oscars sont aussi devenus soporifiques, d'autant qu'à peu près personne ne connaît les chansons sélectionnées.

Avec l'addition de tous ces facteurs, pas étonnant que tout le monde râle. Ou baille, c'est selon.

Séance de rattrapage

Contrairement aux Oscars, les Jutra réservent habituellement un bon lot de surprises. Les indices étant beaucoup plus volatiles, il est impossible de se prêter au jeu des prédictions de façon aussi convaincante. Cela dit, il faudrait vraiment que les planètes se désalignent ou que le système solaire dérape complètement pour qu'Incendies ne soit pas consacré à la cérémonie québécoise.

Du côté de l'animation, le duo Sylvie Moreau et Yves Pelletier, qui a le mandat de faire oublier les mauvais galas des récentes années, se révèle prometteur. Une chose est certaine: une soirée comme celle-là s'apprécie davantage quand on a vu les films. La 13e Soirée des Jutra ayant lieu le 13 mars, il vous reste quand même plus d'une semaine pour planifier votre séance de rattrapage.

À part Incendies, toujours en salle, les principaux candidats sont maintenant tous disponibles en DVD: 10 1/2, Les amours imaginaires, Les signes vitaux, La cité, Tromper le silence, Trois temps après la mort d'Anna, La dernière fugue, The Trotsky, Route 132, Cabotins, Piché - Entre ciel et terre, etc.Reste avec moi sort en DVD seulement le 5 avril, et Curling le 3 mai. Dans ce dernier cas, on peut déplorer l'absence de visibilité du plus sérieux rival d'Incendies, lauréat du prix du meilleur film remis par l'Association québécoise des critiques de cinéma. Le film de Denis Côté n'est à l'affiche nulle part dans la région montréalaise cette semaine. Dommage.