Hier, dans un hôpital de Los Angeles, entourée de ses quatre grands enfants, au terme d'une vie turbulente et agitée, Elizabeth Taylor a fermé ses yeux violets à jamais. Elle avait 79 ans, mais cela faisait longtemps, plusieurs décennies en fait, que de graves problèmes de santé la destinaient à une mort prochaine. Sur le réseau Twitter, on a d'ailleurs appris que le journaliste du New York Times qui a rédigé sa chronique nécrologique des années à l'avance, est mort il y a six ans. C'est tout dire.

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Pour ma part, je me souviens d'avoir croisé Elizabeth Taylor aux Oscars, au début des années 2000. Les portes de l'ascenseur s'étaient ouvertes, laissant entrer une énorme femme, bouffie par le Botox et les trop nombreuses chirurgies plastiques, qui avait de la difficulté à marcher et qui n'était plus, déjà et depuis longtemps, que l'ombre de la magnifique femme qu'elle avait été. Mais même en plein déclin physique, même vieillissante, boursouflée et à bout de souffle, cette icône du cinéma et dernière grande star d'Hollywood continuait d'en imposer par sa prestance royale et son regard violet.

En apprenant sa mort hier, je me suis souvenue d'un soir à Ottawa où je m'étais assise devant la télé avec ma mère pour regarder une petite fille de mon âge entraîner un cheval pour une compétition équestre. Le film, tourné 20 ans plus tôt en 1944, s'intitulait National Velvet et avait fait de sa jeune héroïne une star.

Les chevaux et l'équitation avaient beau me laisser de marbre, j'avais été fascinée par cette jeune et belle actrice, que je découvrais à retardement. Après cela, les dates et les exploits se télescopent pour cette femme née en Angleterre de parents américains, arrivée en Californie au début de la Seconde Guerre mondiale et poussée par sa mère dès 10 ans à tenter sa chance dans les auditions des grands studios.

Avant National Velvet, il y aura Lassie qui la propulse au sommet du box-office et une série d'autres films bienveillants pour enfants. Sa carrière aurait pu s'arrêter à la fin de son adolescence. Il n'en fut rien. Contrairement à beaucoup d'enfants stars aussi vite lancés qu'oubliés, Taylor réussira avec brio son passage à un cinéma plus adulte. En 1951, Une place au soleil, classique de George Stevens, établit sa crédibilité d'actrice. D'autres titres comme Giant avec James Dean et Rock Hudson, La chatte sur un toit brûlant et Soudain l'été dernier de Joseph Mankiewicz, mettent en relief sa sensualité animale et des talents dramatiques qui ne se démentent pas.

Quant aux scandales, aussi nombreux que ses maris, ils se suivent, mais ne se ressemblent pas. Je me souviens encore du scandale de Cléopâtre, probablement le premier vrai grand désastre financier d'Hollywood, une épopée de 40 millions (une somme colossale pour l'époque) qui faillit coûter la carrière du réalisateur Joseph Mankiewicz et fut marquée par une météo d'enfer et par la maladie de Taylor, qui dut subir une trachéotomie pendant le tournage. Au final, des millions sont engloutis pour un film-fleuve qui devait faire six heures, avant d'être ramené à quatre heures, puis à deux. La légende veut qu'à la première à Londres en 1963, Elizabeth Taylor soit sortie pendant la projection pour aller vomir tant elle ne reconnaissait plus son travail dans cette version tronquée. Qu'importe puisque, sur ce tournage calamiteux, elle avait rencontré Richard Burton, qu'elle épouserait le 16 mars 1964 à Montréal.

Sur le site des archives de Radio-Canada, on peut voir le très sérieux Pierre Nadeau, le roi des affaires publiques et de la couverture internationale de l'époque, présenter, sourire en coin, les images du couple maudit qui devait en principe se marier à Toronto, où Burton jouait Hamlet au théâtre. Mais ne trouvant aucun pasteur pour cautionner leur union scandaleuse dénoncée par le pape lui-même, c'est finalement à Montréal, ville ouverte et pas mal plus libérée que Toronto, que Taylor et Burton trouvent refuge et se marient dans la suite royale du Ritz-Carlton devant à peine une dizaine d'amis.

Grâce à eux, le nom de Montréal fait le tour du monde. Trois ans plus tard, Taylor et Burton tournent un classique de l'histoire du cinéma: Who's Afraid of Virginia Woolf, la célèbre pièce d'Edward Albee adaptée pour le cinéma par Mike Nichols. La performance de Taylor, qui prend 15 kilos et se vieillit de 20 ans pour se glisser dans la peau d'une femme acariâtre et alcoolique, lui vaudra un deuxième Oscar amplement mérité. Mais si son jeu cruel est aussi crédible, c'est sans doute parce que cette histoire d'un couple en guerre et déchiré par l'alcool, c'est un peu sa propre histoire avec Burton. Ils tourneront une dizaine d'autres films ensemble, divorceront en 1974, se remarieront l'année suivante avant de se séparer pour de bon en 1976.

Elizabeth Taylor, qui détestait le diminutif Liz parce que cela lui faisait penser à un nom de saucisse, continuera de tourner des films avec plus ou moins de succès et à collectionner de nouveaux maris. Mais de toute évidence, ses meilleures années professionnelles sont derrière elle même si en 1993, l'American Film Institute la classe septième au rang des plus grandes actrices de tous les temps et que le Sunday Express la sacre, à l'âge de 70 ans, «plus belle femme du monde», devant Grace Kelly, Audrey Hepburn, Sophia Loren, Marilyn Monroe, Brigitte Bardot et Catherine Zeta-Jones. Mais rendue à cette étape de sa vie, la plus belle femme du monde est une femme malade, qui milite pour les victimes du sida et qui s'est liée d'amitié avec un certain Michael Jackson, qu'elle maternera et défendra jusque dans la tombe.

Aujourd'hui, ce qu'il reste d'Elizabeth Taylor, c'est une cinquantaine de films dont plusieurs grands classiques, des milliers de photos d'une des grandes beautés du siècle dernier, celles aussi d'une militante ouverte et généreuse qui a contribué activement à faire tomber les préjugés contre le sida, dont les yeux violets, même éteints, continuent de nous faire rêver.