Elle n'avait rien tourné de vraiment significatif pour le grand écran depuis plus de 40 ans. N'empêche qu'il y a toujours, quand même, quelque chose d'émouvant dans la disparition d'une star de l'envergure d'Elizabeth Taylor. D'autant que son visage d'immortelle est à jamais lié à l'âge d'or du cinéma hollywoodien, ce temps de plus en plus lointain où les vedettes étaient magnifiées à l'écran et menaient hors plateau des vies forcément plus grandes que nature.

Qu'on le veuille ou non, la mort d'une légende ramène inévitablement la nostalgie d'une époque bien révolue. Les géants hollywoodiens encore vivants se font maintenant beaucoup plus rares. Du haut de ses 94 ans, Kirk Douglas tient pourtant toujours son rôle de patriarche. De 20 ans son cadet, Robert Redford, orphelin de Sydney Pollack, reste plus actif que jamais dans le milieu du cinéma grâce au Festival de Sundance. Le «Sundance Kid» symbolise d'ailleurs mieux que quiconque la profonde transformation qu'a subie le milieu en assurant avec élégance la transition entre l'ancien Hollywood et le monde effervescent du cinéma «indépendant». Avec le succès que l'on sait.

Redford est toutefois arrivé à une époque où une vedette pouvait encore utiliser son pouvoir pour convaincre un grand studio d'embarquer dans une aventure plus «risquée». Dans son numéro d'avril, le magazine Vanity Fair publie un long article de Michael Feeney Callan, adapté d'un passage tiré d'une biographie consacrée à Redford, à paraître au mois de mai. Il y relate comment, sous la gouverne de l'acteur, le projet d'All the President's Men a été élaboré parallèlement à l'enquête ayant mené au scandale du Watergate, et à la démission du président Nixon en 1974. Redford était en effet sur le coup avant même la publication du livre des reporters Bob Woodward et Carl Bernstein.

Mais au-delà du flair d'un homme dont l'implication sociale a toujours figuré au coeur de la démarche, cet article révèle un mode de fabrication difficilement applicable de nos jours. Du moins, dans le contexte de production dans lequel évoluent aujourd'hui les grands studios.

Fort des sorties successives, en six mois à peine, de The Way We Were, The Sting et The Great Gatsby, en 1973 et 1974, Redford a mené All the President's Men à bout de bras, suivant de très près toutes les étapes du processus créatif. De l'écriture du scénario (au prix d'amitiés brisées) jusqu'au montage du film, en passant par l'embauche du regretté réalisateur Alan J. Pakula. Ce dernier estimait d'ailleurs que le public américain était alors mûr pour des films plus réalistes et plus pertinents sur le plan social. «Il était temps que nous ayons notre Nouvelle Vague à nous», disait-il. De son côté, Redford aurait voulu s'effacer et n'agir qu'à titre d'«accoucheur» par l'entremise de sa société de production Wildwood. L'acteur croyait en outre que ce film consacré au journalisme, dont le budget s'élevait à 8,5 millions de dollars, devait être tourné en noir et blanc, dans un style cinéma-vérité. Les bonzes du studio Warner ont évidemment vu les choses autrement. Pas question de se priver de la présence de la plus grande star masculine de l'époque. Ce coup de force du studio mis à part, Redford peut pratiquement revendiquer la paternité de cette oeuvre phare tellement son empreinte y est pesante.

Au beau milieu du tournage d'All the President's Men est toutefois sorti un film qui devait changer à jamais la façon dont les films hollywoodiens sont mis en marché: Jaws, de Steven Spielberg. Distribution massive sur tout le continent, campagne de marketing, rencontres de presse, etc. Sous l'insistance de la Warner, Redford accepte de jouer le jeu du service après-vente «façon Jaws» lors de la sortie d'All the President's Men. Mais il en éprouve un malaise.

«En sommes-nous maintenant au point où le contenant est devenu aussi important que le contenu? demande-t-il. Jaws est un bon film populaire. Mais il est devenu emblématique d'une campagne contaminant désormais tous les films américains, dont le but est de vendre du maïs soufflé et de faire du placement de produits. Je crois que nous avons été très chanceux de réaliser All The President's Men à cette époque, car je ne suis pas certain que nous aurions pu faire un film aussi honnête une décennie ou deux plus tard.»

Pas de doute, les temps ont bien changé.

Des Jutra de souche?

Notre collègue de The Gazette Brendan Kelly s'interrogeait récemment sur son blogue à propos du peu d'espace accordé à la Soirée des Jutra aux films québécois tournés dans une autre langue que le français. Sans tirer de conclusions hâtives, le journaliste francophile déplorait notamment les maigres nominations obtenues par Barney's Version (comparativement à une très forte représentation aux Génie), The Trotsky (le lauréat du Génie du meilleur scénario n'était même pas en lice dans cette catégorie aux Jutra), et Sortie 67.

Tant qu'il existera deux cérémonies distinctes, Génie au Canada et Jutra au Québec, il y aura forcément des différences notoires. À cet égard, rappelons simplement l'absence de J'ai tué ma mère aux Génie l'an dernier. Mais au-delà des discussions sur les mérites de tel ou tel film, force est de reconnaître que les oeuvres produites chez nous dans une autre langue que celle parlée par la majorité ont beaucoup plus de difficulté à se faire valoir dans les galas. Aux Jutra, toutes les oeuvres sont pourtant d'emblée admissibles (contrairement à l'ADISQ où il faut s'inscrire). Serions-nous tricotés si serré?