On commençait à peine à se remettre de l'affaire DSK - le Tout-Cannes ne parle que de ça depuis lundi - que la politique a trouvé un autre écho sur la Croisette, hier, avec la présentation très attendue de La conquête de Xavier Durringer.

Le film-dont-tout-le-monde-parlait-mais-que-personne-n'avait-vu, projeté hors compétition, s'intéresse à l'ascension au pouvoir de Nicolas Sarkozy. Il a pris l'affiche hier, partout en France, dans la foulée de sa première mondiale au Festival de Cannes.

Si Carla Bruni, même enceinte, en envisage la possibilité, son président de mari a déclaré qu'il n'irait pas voir La conquête. M'est avis qu'il devrait. Loin d'être le brûlot antisarkoziste que la droite craignait, cette fiction «inspirée de personnages et de faits réels» épargne de façon générale le chef d'État français. À un an de la prochaine élection présidentielle, au sommet de son impopularité, je dirais même qu'il en sort grandi (sans mauvais jeu de mots).

Nicolas Sarkozy, incarné avec beaucoup de zèle et une mimique confondante par l'excellent Denis Podalydès, est dépeint comme un fin renard politique, une rock star médiatique, un stratège calculateur, orageux et sans merci, mais franc et transparent dans ses ambitions. Un «winner» qui joue cartes sur table

On ne peut en dire autant de ses rivaux Jacques Chirac (Bernard Le Coq, très convaincant), qui passe pour sans-coeur, et surtout Dominique de Villepin, ex-premier ministre et grand rival politique de «Sarko», qui a, sous les traits assez caricaturaux du comédien Samuel Labarthe, des airs de Grand-Guignol mesquin, prêt à tout pour discréditer son adversaire. «Ce n'est pas un film à charge. Le président apparaît comme humain, car chaque homme est fait de différents morceaux et il fallait rendre compte de cette complexité», a déclaré Xavier Durringer, hier, en conférence de presse.

Si La conquête, scénarisé par Patrick Rotman, historien politique et auteur d'un documentaire sur Jacques Chirac, prétend être juste à 99% sur le plan politique, on se demande quel pourcentage des vannes adressées par Chirac et de Villepin à l'endroit de Sarkozy sont authentiques. «Gesticulateur précoce», «nabot», «petit salopard»: toutes les insultes y passent. «Ce nain va nous faire une France à sa taille», dit entre autres de Villepin de son nouveau président.

Vraies ou pas, ces répliques frappent dans le mille. Et font de ce premier film français à traiter de la classe politique en place une comédie dramatique efficace et divertissante. À défaut d'être un grand film de cinéma.

«Nous n'étions pas dans la mise en scène documentaire, mais dans la tentative de retranscrire l'essence même de la réalité. Le cinéma, c'est la transformation alchimique du réel», dit Xavier Durringer, dans un élan poétique, en évoquant le film noir pour parler des dialogues de son film. «Je me suis aperçu que les hommes politiques se tuent avec des petites phrases plutôt qu'avec des flingues.»

Le metteur en scène dit avoir voulu faire un film politique à l'anglo-saxonne, dans la lignée de The Queen. La conquête n'est certainement pas aussi abouti dans sa forme - plus proche du téléfilm - que l'oeuvre de Stephen Frears, mais s'y apparente certainement dans l'esprit.

Le film a aussi une résonance particulière, à la lumière de l'actualité des derniers jours, lorsque le personnage de Nicolas Sarkozy dit, en draguant une journaliste: «Les hommes politiques sont de vraies bêtes sexuelles.» Éclats de rire (jaune?) chez les spectateurs, qui ont assez favorablement accueilli ce film populaire.

Xavier Durringer trace un parallèle entre l'ascension politique fulgurante de Nicolas Sarkozy, de 2002 à 2007, et sa vie sentimentale, qui tombe en ruines. Son ex-femme, Cecilia, l'a conseillé pendant 20 ans avant de le quitter, à la veille de son élection. Le cerveau derrière l'homme politique, c'est elle. Le film commence d'ailleurs le 6 mai 2007, jour de l'élection de Sarkozy à la présidence, alors qu'il cherche désespérément à joindre sa femme.

Xavier Durringer pose par ailleurs un regard très caustique sur les médias, soupçonnés d'être à la solde de Sarkozy. «Les journalistes français n'ont pas de couilles. De toute façon, on les tient», dit le président. «Même Le Monde lui mange dans la main», se désole Dominique de Villepin.

Bien hâte de lire aujourd'hui ce que la presse française pense du film...

Radieuse Reda

Elle est arrivée à Cannes la veille, en pure inconnue. Hier, elle a été traitée en star au terme de la projection de La nuit, elles dansent, à la Quinzaine des réalisateurs. Aujourd'hui, elle vendra des robes et des bijoux au stand de la SODEC, près de la plage, en espérant rapporter un peu d'argent chez elle, au Caire.

Reda Ibrahim est le personnage fort, lumineux, haut en couleur du documentaire d'Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault, dont je vous parlais samedi. Cette fascinante chronique familiale, campée dans l'univers glauque des danseuses de baladi égyptiennes, est le seul long métrage québécois présenté à Cannes cette année.

Le film a été accueilli poliment, mais chaleureusement hier, dans une salle quasi comble de la Quinzaine (dont les films sont accessibles au grand public). Mais pour Reda, veuve et mère de sept enfants, qui gère tant bien que mal la carrière de ses filles danseuses, cet accueil avait des allures de triomphe. Vêtue d'une longue robe blanche, elle avait le sourire fendu jusqu'aux tempes lorsque les caméras se sont braquées sur elle, en fin de projection.

«Je ne m'attendais pas à ce que ma vie puisse intéresser autant de gens et attirer autant de personnes au cinéma, a-t-elle déclaré en conférence de presse après avoir vu le film pour la première fois. C'est ma vie, je n'en ai pas honte!»