Le club vidéo du coin ferme ses portes. Ce n'est pas que j'y étais particulièrement attaché. Succursale d'un géant américain de la location de films qui, comme son nom l'indique, ne se spécialise pas dans le cinéma d'auteur.

Je me souviens quand Blockbuster s'est installé dans le quartier, il y a une quinzaine d'années. On disait qu'il allait tout balayer sur son passage. Qu'aucun commerce du genre ne survivrait à son arrivée, à ses nouveautés en 15 exemplaires, à ses prix de gros, à sa vaste sélection.

On avait raison. Les petits vidéoclubs des environs ont disparu les uns après les autres. Aujourd'hui, c'est le grand qui disparaît à son tour. Dix-neuf boutiques Blockbuster vont fermer au Québec d'ici le 18 juin. Quelque 145 succursales au Canada. Plus de 1400 emplois sont menacés. L'entreprise doit vendre ses magasins pour éponger la dette de sa maison mère américaine, mise sous la protection de la loi sur la faillite en septembre, puis vendue dans la foulée.

Depuis vendredi, les succursales condamnées liquident leur stock. J'en ai profité pour garnir au rabais ma DVDthèque: deux Coppola, deux Tarantino, un Aronofsky, un frères Coen, un Haneke, un Lars, There Will Be Blood et Incendies en Blu-Ray, un jeu vidéo de soccer pour fiston. C'est ce qu'on appelle, j'en conviens, profiter de la misère des autres.

Personne n'est surpris des difficultés de Blockbuster. L'industrie de la location de films est en constante perte de vitesse depuis quelques années et négocie actuellement la difficile transition vers le numérique. Ce n'est pas simple. Les consommateurs ont peut-être délaissé les vidéoclubs, ils n'ont pas pour autant pris en masse le virage de la location en ligne.

Tous les spécialistes s'entendent pour dire que le téléchargement est la voie de l'avenir. Mais que l'avenir, ben, ce n'est pas tout de suite. Un jour, on louera des films sur l'internet avec autant de facilité que l'on achète de la musique en ligne. On n'en est pas là pour l'instant.

Netflix, qui propose une sélection de films sur l'internet, a beau avoir attiré plus de 800 000 abonnés à son service locatif mensuel depuis son lancement au Canada en septembre, la vidéo sur demande par câble et satellite a beau avoir connu une croissance de 20% au pays en 2010, quelque 94% des revenus de location de films au Canada proviennent toujours de vidéoclubs (contre seulement 43% aux États-Unis, où la vidéo sur demande est très populaire).

Sauf que ces revenus sont en chute libre. C'est ainsi que les entreprises comme Blockbuster se retrouvent victimes d'un entre-deux, d'un espèce de «no man's land» du cinéma maison, offrant un service jugé désuet par ceux qui veulent un film dans l'immédiat, là, tout de suite, sans avoir à se déplacer dans un vidéoclub. Mais qui, comme moi, sont des technodéficients n'ayant pas encore assimilé les rouages de la location en ligne.

On n'est pas encore prêt pour la révolution numérique, semble-t-il. Surtout avec des fournisseurs d'accès internet qui mettent des bâtons dans les roues des entreprises de location de films comme Netflix (dont la sélection n'est par ailleurs pas très variée). Aux États-Unis, où l'accès à ce genre de service est plus simple et facile, la location en ligne ne compte encore que pour 3% des parts de marché.

C'est pourquoi l'industrie, en attendant qu'une masse critique ne se forme, se contente d'une solution temporaire: les bornes de location de films. C'est ce que fait Zip.ca, l'équivalent canadien de Netflix, qui s'apprête à ajouter de nouvelles machines distributrices de DVD à celles déjà présentes dans des supermarchés montréalais.

Le vidéoclub du coin ferme ses portes. Ce n'est pas une bonne nouvelle. Pour tous ceux qui perdront leur emploi, surtout. Pour mon fils, qui aimait y louer un jeu vidéo après son cours de natation. Pour moi aussi, qui me laissais parfois tenter par une série télé américaine.

C'est aussi la fin d'une époque. Une époque que j'associe à mon adolescence, à tenter, pendant de longues minutes, de trouver un film qui plaise à cinq ou six amis et à moi (qu'est-ce que j'ai pu me faire railler, à 15 ans, pour mes sélections d'oeuvres primées dans des festivals!).

Rien de dramatique. À terme, on finira tous par se faire à l'idée de louer des films sur le web. Éventuellement, la vidéo sur demande d'Illico offrira davantage de films dignes de ce nom. Et qui sait encore ce que l'avenir nous réserve comme accès au septième art.

Pour la cinéphilie, on souhaite bien sûr la survie de boutiques spécialisées comme la Boîte noire, afin de satisfaire nos envies de découverte. Et surtout, celle de la salle obscure qui, malgré toutes les transformations technologiques, les migrations de spectateurs, les oiseaux de malheur prédisant sa disparition à plus ou moins brève échéance, restera toujours le refuge par excellence de ceux pour qui le cinéma est plus qu'un divertissement