C'était à la sortie «du Miike», comme on dit dans les cercles cinéphiles. Dans le cadre d'un grand festival de cinéma, les films sont si intimement liés à leur auteur que les titres deviennent pratiquement inutiles. À Cannes, on a vu «le Moretti», «le Almodovar», «le Malick», «le Sorrentino», «le von Trier», «le Kaurismäki». Les plus récentes offrandes de ces cinéastes s'inscrivent dans une oeuvre assez importante pour être évoquées sur la seule foi d'un nom. Mais ne digressons pas trop.

C'était, donc, à la sortie du Miike. Nous venions de voir un film intitulé Ichimei, inspiré du classique Harakiri de Kobayashi. Les discussions, toujours animées dans ce contexte, ne portaient pas tant cette fois sur l'oeuvre - assez soporifique - que sur son aspect technique. Les festivaliers se demandaient pourquoi diable on leur avait fait porter des lunettes 3D pendant plus de deux heures. Apparemment pour rien. Ou à peu près. À part une scène avec de véritables images en relief, la 3D n'a pratiquement été utilisée que pour mettre en valeur le générique et les sous-titres.

Au même moment, les séances en 3D de la superproduction Pirates of the Caribbean: On Stranger Tides n'atteignait pas les scores attendus dans les complexes multisalles nord-américains. Seulement 47% des recettes du quatrième volet des aventures de Jack Sparrow ont été engendrées par les copies en 3D. La plupart des superproductions du genre peuvent habituellement espérer en tirer au moins 60%. Le week-end du Memorial Day n'a guère été plus tendre pour les adeptes des images en relief. Environ 45% des recettes de Kung Fu Panda 2 sont provenues de la 3D. C'est peu.

Plusieurs observateurs, parmi lesquels Richard Greenfield, à l'origine d'une enquête publiée récemment par le cabinet de recherche BTIG Research, ont vite conclu à l'essoufflement de la technologie. Pour enfoncer le clou, un article du Boston Globe, aussi étoffé que dévastateur, a vite fait le tour du monde. On y expliquait pourquoi la qualité générale des projections dans les salles était aujourd'hui faible, particulièrement sur le plan de la luminosité des images, maintenant assombries. Un verdict de culpabilité fut prononcé envers l'implantation des projecteurs 3D numériques. Autrement dit, différents rapports commencent à sonner l'alarme auprès des grands studios. Qui, à la suite du triomphe historique d'Avatar, ont tous pris le train de la 3D en croyant avoir trouvé un filon solide, quitte à proposer tout et n'importe quoi.

S'il y a actuellement un effet de ressac auprès du spectateur, les grands studios n'ont pourtant qu'eux-mêmes à blâmer. À force de réclamer quelques dollars supplémentaires pour des projections en relief dont les effets bâclés ont souvent été ajoutés en postproduction (The Clash of the Titans par exemple), Hollywood suscite maintenant méfiance et scepticisme.

N'enterrons toutefois pas le gros joujou trop vite. D'autant plus que les superproductions génèrent maintenant beaucoup plus de recettes sur le marché international que sur le marché intérieur américain (duquel le Canada - y compris le Québec - fait partie). Le programme s'annonce très chargé au cours des prochaines semaines (Transformers, Harry Potter, etc.). Il n'y a d'ailleurs pas lieu de croire à une probable désaffection dans le cahier de commandes. De grands cinéastes (Wenders, Herzog, Scorsese, et bientôt Bertolucci) trouvent aussi cette technologie assez inspirante pour concevoir désormais une oeuvre en 3D.

Indéniablement, on évoque ici une valeur ajoutée, dans la mesure où l'on en fait une bonne utilisation. À Hollywood, maintenant, et aussi à Miike, de trouver le bon mode d'emploi.

I want my s.t.f.

Le nouveau film de Jacob Tierney, Good Neighbours, prend l'affiche aujourd'hui en version originale anglaise seulement. Le fait serait banal s'il ne s'agissait pas d'un long métrage québécois. Produite au coût de 5,3 millions de dollars, en bonne partie financée par Téléfilm Canada et la SODEC, la comédie noire inspirée du roman de Chrystine Brouillet Chère voisine, moins séduisante que The Trotsky il est vrai, n'a fait l'objet d'aucun sous-titrage, encore moins d'un doublage. Raison purement économique, évoque-t-on chez le distributeur Alliance Vivafilm. Qui, à cet égard, avait beaucoup investi pour The Trotsky. Sans obtenir les résultats escomptés.

«Après analyses, nous en sommes venus à la conclusion que la dépense n'était pas justifiée pour Good Neighbours, d'expliquer le président Patrick Roy. Une copie sous-titrée entraînerait aussi des frais supplémentaires de mise en marché. On parle de 35 à 40 000$ au total. Il faudrait que cette copie génère au moins le double pour être rentable. Or, les recettes de la copie sous-titrée de Millenium ont été de 30 000$!»

Patrick Roy fait valoir que même si les films sont en majeure partie financés avec des fonds publics, leur mise en marché reste sous responsabilité financière des distributeurs.

«Oui, Téléfilm Canada peut aider au sous-titrage d'un film, mais nous avons la responsabilité d'administrer de façon intelligente, indique-t-il. Si nous arrivons à la conclusion que l'affaire ne peut être profitable, il devient bien difficile de justifier pareille dépense.»

L'argument économique est incontestable. Mais le malaise est quand même bien réel. De la même manière qu'il serait impensable de sortir un film canadien francophone sans sous-titres dans les autres provinces, ne devrait-il pas y avoir obligation, quand il s'agit de films canadiens-anglais - et qui plus est québécois anglais - de proposer au moins une copie accessible dans notre langue officielle au moment d'une sortie sur notre territoire?

Pour l'heure, les versions sous-titrées et doublées de Good Neighbours ne seront offertes qu'au moment de la parution du film en DVD. Les coûts de production, précise Patrick Roy, seront alors réduits de moitié. Drôle de pays, dites-vous?