C'était à la télévision de Radio-Canada, dimanche soir. Disons, en résumé, une version nouveau genre des Beaux dimanches, pour ceux qui se souviennent de l'ancien grand rendez-vous culturel de notre télévision publique. Vraiment, «nouveau genre».

On diffusait un gala du Grand rire de Québec 2010. Spectacle d'humour conventionnel, conçu pour la télévision, avec son roulement habituel de numéros de stand-up et de plans de coupe de gens hilares dans une salle mal éclairée.

Il était 20 h 45 environ quand Anthony Kavanagh est apparu au petit écran, sur scène dans un (faux) bain à remous. Juste derrière lui, une brune aux reflets mauves, en bikini. L'humoriste, fixant de très près les seins de sa «partenaire du rire», déclare: «C'est le fun que tout le monde soit là, hein, mon amour?»

Ce n'était pas fini. Arrive Maxim Martin qui - ce n'était probablement pas prévu - tombe dans le bain, rempli seulement de mousse. Petite pause burlesque donnant lieu au moment de loin le plus comique du sketch.

L'ex-animateur de Vert tendre, un magazine écologique à Vox, est accompagné d'une blonde plantureuse, aux seins chirurgicalement surdimensionnés, portant un bikini rayé blanc et rose. Maxim Martin fixe à son tour le décolleté de son «amie de rire». Gros plans constants sur les poitrines de ces dames.

Puis arrive le troisième larron de la bande, François Massicotte, avec celle qu'il présente comme sa compagne. Poitrine moins imposante visant à nous faire comprendre (en un instant) que Massicotte a moins de veine que ses confrères du rire gras.

C'est alors que la blonde plantureuse dit à ses amies: «Heille, on va-tu chercher des drinks, les filles?» Et les gars d'examiner avec insistance leurs postérieurs pendant qu'elles s'éloignent, comme on imagine qu'il était de coutume de le faire dans les tavernes à l'époque de la Série du siècle. Ajoutez à cela quelques grognements ricaneurs et on ne pense plus à «taverne», mais à «caverne».

«Est vraiment cute, ta blonde, Max», dit Massicotte à son copain écologiste et socialement engagé. «Attends, François Massicotte, lui répond Maxime Martin. Tu vas me faire accroire que t'as regardé son visage? Heille, come on! Est comment, sa face?»

«Ben elle a deux yeux, un nez...» dit Massicotte. «Quelle couleur, ses yeux?» demande à son tour Kavanagh. «Ben, rayés rose et blanc!» répond Massicotte. «M'a être honnête avec toi, ils sont extraordinaires, ajoute Martin. En plus, quand c'est pas toi qui les as payés, sont encore plus beaux!»

J'ai failli m'étouffer de rire tellement j'ai trouvé que ce sketch repoussait les frontières de l'innovation en humour. Yvon Deschamps a une relève. Lenny Bruce et George Carlin peuvent reposer en paix. Oui, je niaise.

Et je vous épargne la discussion qui a suivi sur les règles à adopter pendant un trip à six, avec les inévitables blagues à connotation homophobe autour du «croisement d'épées». De la joke de mononcle érigée en dogme, mettant en vedette Massicotte dans le rôle du niaiseux pogné, Martin dans celui de l'hédoniste en panne de confiance, et Kavanagh en Kavanagh. Oh! je l'oubliais presque: trois jeunes femmes en potiches sexuées. Édifiant.

J'ai eu beau chercher le second degré, la dénonciation du machisme dans cette démonstration de troglodytisme à la sauce québécoise, je n'ai pas trouvé. Et je n'ai pas ri une seule fois, en près de 15 minutes.

«Ça t'étonne?» m'a dit ma blonde. Ce n'est pas étonnant, soit. C'est fait, bien sûr, entre adultes consentants. Certains, à l'évidence, trouvent ça drôle. Mais est-ce souhaitable pour autant? Faut-il accepter comme une fatalité la joke de mononcle facile se servant à souhait du corps de la femme comme d'un accessoire pour faire rire?

On m'accusera d'être prude, mais je vois un sketch de ce type, qui aurait pu avoir été écrit en 1958, et j'ai envie de dire à ceux qui l'ont imaginé: forcez-vous donc un peu, les boys! Étonnez-nous, justement. Et étonnez-vous, du même souffle. Sortez des sentiers battus. Soyez moins prévisibles, même dans la vulgarité. De l'imagination, que diable!

Cet humour stérile qui ne surprend pas, ces jokes de mononcle de partys arrosés à la crème de menthe, ne font à terme que renforcer les préjugés contre les humoristes québécois.

Je ne suis pas un nostalgique, loin s'en faut, mais il fut une époque - pas si lointaine, il me semble; le début des années 90 - où l'on avait déclaré collectivement la guerre à l'exploitation de l'image de la femme. Les publicitaires s'étaient légèrement calmé le pompon, même pour les réclames de bière. Les groupes rock aussi, dans leurs vidéoclips. Le moratoire a duré le temps de la célébrité de Warrant et de son hit Cherry Pie.

Aujourd'hui, c'est le retour du balancier à la puissance 10. On voit plus de seins que de bouteilles dans les pubs de bière et l'imagerie porno a envahi toutes les sphères du vidéoclip. Bien des humoristes s'affichent fièrement comme des machos impénitents, tout en feignant parfois de dénoncer le machisme (je pense au «Gros Cave»), alors qu'ils ne cherchent que de nouveaux prétextes pour afficher des décolletés en toute impunité.

Ben cou'donc. Si ça ou Les beaux dimanches, un dimanche soir à 20 h 45 à la télévision publique, c'est du pareil au même pour tout le monde, c'est peut-être moi, finalement, le mononcle.