C'est l'idée, saugrenue, d'un hymne national de série B chanté par Raôul Duguay (eh misère!) qui m'a inspiré cette autre idée, tout aussi saugrenue sans doute, d'une chronique sur un «film national».

Ne parlons pas, de grâce, de réaliser un film sur le thème de la «nation qui fleurit et aspire au bonheur/sous l'arc-en-ciel de l'amour nous chantons liberté». Même s'il y a amplement matière, ces jours-ci, pour une comédie dramatique inspirée des déboires du Parti québécois.

Soyons néanmoins ambitieux: ceci n'est pas seulement une chronique, c'est aussi - pourquoi pas; c'est presque l'été - un concours. Avec une question, ma sélection, vos réponses publiées sur Cyberpresse (à la suite de cette chronique), mais malheureusement, aucun prix de participation. On fait avec ce que l'on a.

La question donc: si vous aviez à choisir un seul film pour représenter l'histoire du cinéma québécois, un «film national» en quelque sorte, ce serait lequel? Oui, c'est une question sérieuse pour un exercice ludique.

Les bons débarras de Francis Mankiewicz (1980)

Les mots de Réjean Ducharme, sa poésie, puissante, déchirante, éclatante. L'interprétation de Charlotte Laurier, révoltée, émouvante. Une toile inextricable, tissée entre une jeune fille et sa mère (Marie Tifo, magnifique). Une tranche de vie d'un réalisme cru, déroutante et bouleversante. Le chef-d'oeuvre intimiste d'un cinéaste regretté, Francis Mankiewicz. Y a-t-il plus grand film dans l'histoire de notre cinéma que Les bons débarras?

Mon oncle Antoine de Claude Jutra (1971)

Claude Jutra a campé son plus célèbre film dans une ville minière de l'Estrie, dans les années 40. À la veille de Noël, le gérant du magasin général invite le village à se réunir sous son toit. Son neveu de 15 ans, Benoît, un orphelin, l'accompagne en mission chez une famille en deuil. Ils sont chargés de rapporter le cercueil d'un garçon. L'aventure bouleverse Benoît, qui découvre peu à peu le monde adulte. Mettant en vedette Jean Duceppe, Jacques Gagnon et Jutra lui-même, ainsi que les superbes images de Michel Brault, alternant entre le froid et le chaud.

Les ordres de Michel Brault (1974)

Cinéaste phare du cinéma direct, Michel Brault a 42 ans lorsqu'il met en scène cette fiction inspirée de nombreuses heures d'entrevues réalisées avec des victimes de la crise d'Octobre. De facture quasi documentaire, Les ordres raconte l'arrestation de cinq d'entre eux, personnages fictifs présentés à l'écran par un procédé ingénieux, d'une formidable fluidité, qui ajoute à la subtilité de l'oeuvre et magnifie les performances mémorables de Claude Gauthier, Louise Forestier, Hélène Loiselle, Guy Provost et Jean Lapointe. Ce grand film a remporté le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes et raté de peu la Palme d'or.

Le déclin de l'empire américain de Denys Arcand (1986)

Les dialogues truculents, pétris d'intelligence, le drame qui chevauche la comédie, et la mise en orbite internationale de l'un de nos plus grands cinéastes, Denys Arcand. Prix de la critique internationale au Festival de Cannes (où il a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs), Le déclin de l'empire américain, sur les élucubrations lubriques et philosophiques d'amis intellectuels, témoigne avec acuité de son époque et du Québec de son époque, comme l'ont fait bien peu de films.

Le chat dans le sac de Gilles Groulx (1964)

«Je suis Canadien français et je me cherche», dit Claude (Claude Godbout), apprenti journaliste amoureux d'une étudiante en théâtre anglophone (Barbara Ulrich). Inspiré par le cinéma de la Nouvelle Vague, Gilles Groulx dresse par à-coups un portrait subtil et éloquent d'une société en changement, le Québec de la Révolution tranquille. Une oeuvre essentielle de notre cinématographie.

Les invasions barbares de Denys Arcand (2003)

Un film émouvant qui ne verse pas dans le pathos, un pamphlet caustique qui évite généralement la caricature, une ode à la vie tournée avec humour et subtilité. Les invasions barbares est un film humain, vibrant et poétique, porté par des dialogues forts et l'interprétation renversante de Rémy Girard, d'une justesse remarquable. Prix du scénario et de l'interprétation féminine (pour Marie-Josée Croze) au Festival de Cannes, lauréat des prix les plus prestigieux de la Soirée des Césars et de l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, et certainement l'un des films québécois les plus marquants de la dernière décennie.

Un zoo la nuit de Jean-Claude Lauzon (1987)

Marcel (Gilles Maheu), jeune fauve en liberté, sorti depuis peu de prison, lave doucement son père Albert (Roger Lebel). C'est l'une des plus belles scènes d'amour du cinéma québécois. Et de ce premier long métrage, à la fois tendre et brutal, fait de moments de cinéma fulgurants et de ruptures de ton, réalisé par Jean-Claude Lauzon, cinéaste ténébreux et révolté, qui a su en deux films (l'excellent Léolo) imposer un style unique, avant de disparaître beaucoup trop vite. Les frissons au moment d'entendre Voir un ami pleurer de Jacques Brel sur le générique.

Polytechnique de Denis Villeneuve (2009)

Un film dur et bouleversant, brutal et fin. Une oeuvre remarquable, à marquer d'une pierre blanche dans notre cinématographie récente. Un film brillamment réalisé, scénarisé (Jacques Davidts) et joué, des premiers rôles (Maxim Gaudette, renversant) aux personnages secondaires. Un film d'une sobriété nécessaire, pour un drame qu'on ne saura jamais oublier. Le Québec, dans sa tragédie.