En invitant, samedi, les lecteurs à sélectionner notre «film national», je savais bien que je m'aventurais en terrain glissant. La question était à la fois simple et complexe: si vous aviez à choisir un seul film pour représenter l'histoire du cinéma québécois, ce serait lequel?

Certaines réserves, compréhensibles, ont été émises sur l'exercice lui-même, qui se voulait avant tout ludique. Même l'été, on ne badine pas avec le cinéma. J'aurais dû m'en douter.

«Choisir un seul film dans la cinématographie québécoise qui serait l'unique détenteur d'un titre qui se doit de revenir à plusieurs est un exercice périlleux et futile, croit François Bourbonnais. Si j'avais à faire un top 10 des bijoux de chez nous pour quelqu'un qui souhaite faire un survol du cinéma de chez nous, j'aurais l'impression de mieux rendre justice à cet art qu'on a fait nôtre depuis Jutra et ses contemporains.»

«Le spectre est trop large, ajoute Marc Taillon. C'est nommer un légume qui représente tous les autres. Ou nommer un fruit. Idem pour la musique. Dire son préféré, nommer celui qui fait histoire, mais nommer «Le» représentant?»

Ces lecteurs, et d'autres, ont raison de trouver l'exercice futile et arbitraire. Il l'est sans conteste. En suggérant quelques titres qui se démarquent à mon sens dans notre cinématographie, j'ai tenté de proposer un florilège. Ce que l'on m'a aussi reproché....

«L'idée est intéressante, l'exercice plaisant, mais pourquoi donc y aller de VOTRE sélection? Ça fait un petit poil prétentieux, il me semble», m'écrit Jacques Leclerc. Décidément, il y a des jeux auxquels on ne peut que perdre.

On peut se refuser à cet exercice périlleux qui est aussi, je l'écrivais samedi, sans doute saugrenu. Mais la nature humaine étant ce qu'elle est, plusieurs se sont pris au jeu. J'ai reçu plus d'une centaine de réponses à ce «concours futile» le week-end dernier. Pour me rendre compte - je m'en doutais bien - que j'avais «oublié» plusieurs titres incontournables. D'ailleurs, je ne les ai pas, pour la plupart, oubliés. Il a fallu, faute d'espace, que je fasse des choix.

S'il y a un long métrage que j'aurais sans doute dû inclure dans ma liste, selon plusieurs lecteurs et amis, c'est Pour la suite du monde de Michel Brault et Pierre Perrault. Une oeuvre fondatrice de notre cinéma documentaire, avec sa langue truculente et sa poésie de l'image. C'est passé à un cheveu...

Parmi les autres «oubliés», il y a d'autres films poétiques de Pierre Perrault (Un pays sans bon sens! - qui s'intéresse justement à la notion de «pays» - et La bête lumineuse), l'unique L'eau chaude, L'eau frette d'André Forcier, ainsi que plusieurs films de Denys Arcand: On est au coton, Le confort et l'indifférence, Réjeanne Padovani, Jésus de Montréal.

«Mon préféré, année après année, reste Gina, m'écrit Philippe. Il paraît que les lentilles frostent en hiver et tout ça, mais c'est bien le seul film québécois qui montre un vrai ciel bleu polarisé du 50e parallèle. Et quoi de plus national que la géographie? Elle survivra à la nation qui ne fait qu'y passer.»

Les «oubliés» les plus souvent cités? Les Plouffe de Gilles Carle, C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée et Léolo de Jean-Claude Lauzon. Mais aussi Gaz Bar Blues de Louis Bélanger, La Grande Séduction de Jean-François Pouliot, la trilogie théologale de Bernard Émond, Maurice Richard de Charles Binamé et 15 février 1839 de Pierre Falardeau.

Parmi les autres choix des lecteurs, des titres aussi variés qu'Octobre, Le matou, Requiem pour un beau sans-coeur, Les Beaux Dimanches, Dans le ventre du dragon, Histoires d'hiver, Les Boys, Deux Femmes en or, La vie heureuse de Leopold Z., Séraphin, un homme et son péché, Incendies, Le Neg', Yes Sir! Madame, Aurore l'enfant martyre, Elvis Gratton, Sonatine, Cruising Bar, Matroni et moi, Un 32 août sur terre ou encore Un crabe dans la tête.

Le film probablement le moins susceptible d'être retenu par un comité de sélection, quel qu'il soit: Les Dangereux de Louis Saïa, un four suggéré par nulle autre que l'une de ses têtes d'affiche, Véronique Cloutier (faisant ici preuve de beaucoup d'autodérision).

Parmi les titres que je suggérais samedi, deux des plus populaires sont Le déclin de l'empire américain et Un zoo la nuit. «J'y ai retrouvé la tendresse et la générosité de mon père dans le personnage de Roger Lebel, qui représentait si bien les pères de cette époque, écrit Sylvain Clermont. J'aimerais le donner à mon fils de 16 ans pour lui dire: «Albert, c'est ton grand-père que tu n'as pas connu, silencieux, mais toujours là pour nous».»

Mais si j'avais à désigner, d'après ce sondage tout sauf scientifique, un film «national» québécois, ce serait sans doute Les ordres de Michel Brault. Un grand film sur l'injustice et l'indignation, entre la fiction et le documentaire, qui témoigne d'une blessure profonde dans l'histoire de notre nation.